Jalouse

Little Simz

- Par Laëtitia Mannessier

Little Simz, née Simbiatu Abisola Abiola Ajikawo, n’a pas le temps. Attablée devant un bol de frites dans un bar de London Field, la jeune fille originaire de 25 ans, née à Londres et de parents nigérians, a même gardé sa doudoune le temps de notre conversati­on. Mais elle n’a pas l’air pressé non plus. Concentrée. Efficace. Déterminée.

Droit à l’essentiel, donc : son album. Le troisième depuis sa première mixtape Blank Canvas, en 2013. Une oeuvre vibrante et complexe, aux influences aussi nuancées que l’histoire du hip hop et du R’N’B. Sur fond de boom bap old school en forme de big up à Missy Elliott sur Boss ou le funky et sexy Selfish, elle raconte cette période de doute qui flotte autour des 25 ans. “Personne ne m’avait dit que ça serait aussi dur, a-t-elle expliqué à Annie Mac sur la BBC. Il faut presque que tu te réinventes entièremen­t. Tout ce qu’on m’a appris, je l’ai désappris pour recommence­r en suivant mon instinct et mes impression­s plutôt que ce que les gens disent.” Cela commence d’abord par se confier, quelque chose dont Little Simz n’a pas l’habitude. Une sorte de thérapie, dit-elle, et une manière de “documenter mon histoire et affirmer mes sentiments de vive voix. Je suis plutôt du genre à garder les choses pour moi, je ne m’ouvre pas vraiment aux gens”. Désapprend­re l’idée que les gens ont d’elle aussi. “Tout le monde pense que je devrais partir aux États-unis, travailler avec telle personne. Oui, je pourrais le faire. Mais je ne sais pas si ça me rendrait heureuse.”

Londres et sa jeunesse

Elle parle aussi de violence, notamment dans le très beau morceau Wounds, avec l’artiste jamaïcain Chronixx, écrit le jour où elle a appris le meurtre de son ami, l’acteur et mannequin Harry Uzoka. Politique mais subtile, elle se fait l’observatri­ce d’un système qui à Londres atteint ses limites, avec une augmentati­on des attaques à l’arme blanche et des meurtres, particuliè­rement parmi les jeunes. “Je ne suis pas là pour prêcher, dit-elle. Au-delà de Little Simz, je suis Simbi, une jeune femme noire qui essaie de comprendre. Je ne prétends pas avoir les réponses, j’ai la perspectiv­e de quelqu’un qui vit au milieu des gens et qui voit ces choses se passer. Je ne m’intéresse pas particuliè­rement à la politique, je ne regarde pas les infos tous les jours, mais je réponds à ce qui m’affecte directemen­t.” Ce qu’elle voit, dit-elle, c’est qu’il est facile de pointer le doigt sans regarder les racines du problème. “Quand j’étais plus jeune, il y avait déjà des crimes au couteau et de la violence. Mais il y avait aussi des endroits positifs pour la jeunesse, pour la communauté. Beaucoup ont fermé sous les coupes budgétaire­s du gouverneme­nt.” Elle regrette une éducation standardis­ée qui donne peu d’horizons aux jeunes. “Mes rêves étaient plus grands, ils n’étaient pas faits pour cette école”, dit-elle en se remémorant sa scolarité. La prochaine génération, imagine-t-elle, “nous devons l’éduquer et l’élever pour qu’elle ait des rêves”.

“Je veux être une légende”

Pour la première fois, Little Simz prend le temps de jeter un oeil dans le rétroviseu­r. Et de se donner une tape dans le dos bien méritée. “À 10 ans, je n’aurais même pas rêvé de sortir un troisième album. Et je l’ai fait.” Un troisième et excellent album et une carrière menée de main de maître et en toute indépendan­ce. En 2014, elle a lancé son label et y sort depuis tous ses projets. “J’ai été approchée par de nombreux labels. Mais je leur ai tous dit non car ça ne me semblait pas être ce qu’il me fallait. Je sentais qu’il fallait que je fasse ce travail de terrain. Et même si ça m’aurait soulagé de beaucoup de stress, je ne changerais mon expérience pour rien au monde.”

À son actif aussi, un festival, un livre et une exposition, tous les trois organisés autour de la sortie de son deuxième album, Stillness in Wonderland. “J’apprends à utiliser mon cerveau autrement qu’en étant créative, explique-t-elle à propos de son ambition touche-àtout. Tu me mets dans un studio, je sais faire. Si tu me mets dans une réunion avec des cadres et des patrons de labels, je veux aussi assurer.” Avec son équipe de huit personnes, elle reste concentrée et affûte ses lames. “Ça ne veut pas dire que je n’aime pas les gens ; je suis juste très concentrée, protectric­e de mon énergie.” C’est que Little Simz le sait, “de grandes choses sont à venir”. Première partie de Gorillaz sur leur Humanz Tour, elle a eu un avant-goût de ces immenses shows et des publics qui vont avec. “Pour moi, ce n’est pas maintenant qui compte, je pense à dans dix ans. Quelle sera ma trace à ce moment-là.” Dans dix ans, “je veux être une légende, assumet-elle. Je veux avoir déjoué le destin. Je veux avoir changé les choses, pas seulement pour ma famille et mes proches mais pour les masses. Pour ça, il faut que je cimente et que je travaille les fondations”.

En attendant, l’artiste aurait tourné Top Boy, une série sur la vie d’un gang du quartier de London Field – là où, justement, elle nous a donnée rendez-vous – et dont la dernière saison serait produite par Drake. Une corde de plus à l’arc de l’inarrêtabl­e Little Simz.

Elle a reçu les honneurs de Dizzee Rascal, Gilles Peterson ou Kendrick Lamar. A tourné avec Gorillaz et a organisé son festival. À 25 ans, elle sort son troisième album, “Grey Area”, sur son propre label bien sûr. Rencontre.

“J’apprends à utiliser mon cerveau autrement qu’en étant créative. Tu me mets dans un studio, je sais faire. Si tu me mets dans une réunion avec des cadres et des patrons de labels, je veux aussi assurer.” Little Simz

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Bijoux perso.
Débardeur Coco Beach en éponge, Chanel. Bijoux perso.
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Barrie. Baskets en cuir et daim, Chanel.
Bijoux perso.
Cardigan oversized et pantalon en cachemire, Barrie. Baskets en cuir et daim, Chanel. Bijoux perso.
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Coco Beach en éponge brodée et baskets en cuir et daim, Chanel.
Bijoux perso.
Blouson et jupe Coco Beach en éponge brodée et baskets en cuir et daim, Chanel. Bijoux perso.
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Coco Beach en éponge brodée, Chanel.
Parka et jupe Coco Beach en éponge brodée, Chanel.
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Coco Beach en éponge brodée et baskets en cuir et daim, Chanel.
Blouson et jupe Coco Beach en éponge brodée et baskets en cuir et daim, Chanel.
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Coco Beach en jersey imprimé, Chanel.
Veste et short Coco Beach en jersey imprimé, Chanel.
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Chanel.
Robe et casquette Coco Beach en éponge brodée et sacs à main en denim et métal, Chanel.

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