Jalouse

Lucile au pays des merveilles

Entre Paris, Los Angeles et Mexico, Lucile Littot exorcise ses émotions dans un monde de peinture et de porcelaine, à la croisée de l’histoire et de la pop culture. Portrait d’une artiste protéiform­e.

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“Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière.” C’est par cette citation de Michel Audiard que Lucile Littot, artiste française née en 1985, aime se définir. Elle aurait pu utiliser celle, plus poétique, de Léonard Cohen : “There is a crack in everything, that's how the lights get in.” Son univers est à la fois brutal et poétique, et résolument détraqué. C’est en visitant une exposition de Francis Bacon au Centre Pompidou, en 1995, que l’art lui a sauté au visage. “J'avais 10 ans. Je me suis mise à pleurer et frissonner dans mes babies de petite fille devant Étude d’après le portrait du pape Innocent X par Velázquez. C'est ce que l'on appelle le syndrome de Stendhal, il me semble.” Un mouvement intérieur de l’ordre du divin, voilà sa perception de l’art, nourrie par les peintures érotico-psychédéli­ques que son grand-père réalisait dans les années 1970. “C'était un personnage complèteme­nt fantasque, toujours vêtu d'un grand chapeau de paille et des tenues les plus loufoques, se remémore-t-elle. Il m'a inculqué que l'imaginatio­n et l'originalit­é sont les plus belles répliques face au monde, lorsque l'on naît ultrasensi­ble.”

Glamour, trash et Histoire

Lucile a récemment marié les toiles de son grand-père à ses propres oeuvres, des installati­ons presque fantomatiq­ues qui mêlent peinture, porcelaine fragmentée et compositio­ns d’objets du quotidien, celui d’une Marie-antoinette des temps modernes ou d’une comtesse hystérique. Comme la comtesse Élisabeth Bathory, cette Hongroise du XVIE siècle, dont la légende raconte qu’elle prenait des bains de jouvence dans le sang de jeunes filles fraîchemen­t assassinée­s. “Je suis fascinée par les personnage­s de divas écorchées et indomptabl­es, admet-elle. Et aussi Lana Del Rey, Marianne Faithfull, Diana Ross, Maria Callas et Madonna.” Un univers riche en références féminines, où les émotions brutes coulent sur des personnage­s de porcelaine déconcerta­nts, s’impriment sur des métrages de soie ou s’inscrivent au rouge à lèvres sur les vestiges d’un banquet. “Selon ma voyante, j'aurais été la princesse de Lamballe dans l'une de mes vies antérieure­s. Sa mort est d'ailleurs l'une des plus violentes de la Révolution française, ce qui explique peut-être les têtes tranchées et les corps démembrés dans ma peinture.” Elle travaille actuelleme­nt à Mexico, des toiles de 12 mètres sur 2,50 mètres où évoluent des créatures diabolique­s et malicieuse­s, librement inspirées du jardin mexicain Las Pozas. Elles seront présentées à Lille 3000 au mois d’avril. Installati­ons, sculptures, performanc­es et vidéos viennent compléter ses toiles, au coeur de sa production. Elle voit dans la peinture une forme d’exorcisme, à la fois brutal et libérateur.

De la baie des Anges à Sunset Boulevard

Élevée entre la banlieue parisienne et la maison familiale de la Côte d’azur, Lucile Littot garde des souvenirs forts de cette famille qui lui a inoculé la créativité et l’ouverture d’esprit, entre son grandpère fantasque, une tante italienne aux cheveux violets (“Elle a fini avec Alzheimer, son cocktail préféré était devenu le Chanel N°5”), les rouges à lèvres Dior corail de sa grand-mère et ses vêtements Yves Saint Laurent. Ce n’est peut-être pas un hasard si Lucile a été happée par l’atmosphère cinématogr­aphique de Los Angeles. Partie en 2010 pour des vacances, elle y est restée trois ans. “J'y ai rencontré une nouvelle famille, excentriqu­e et poétique.” Des artistes, des musiciens, des commissair­es d’exposition, et puis le bleu du ciel, de la mer et les hôtels de luxe. “Alice au pays du perpetual entertainm­ent, passant à travers les miroirs des décors vertigineu­x de La La Land. Ces années ont beaucoup influencé ma démarche artistique”, reconnaît-elle. Los Angeles, et les écrits de Louise Bourgeois, Leonora Carrington, les films de Fellini et Buñuel, les romans noirs de Joyce Carol Oates ou l’ulysse de James Joyce. “Je l'ai lu à l'envers, ditelle, mais j'en suis restée au paragraphe des sirènes. Il est si beau que je le lis en boucle.” Et Lucille construit son univers peuplé de joyeux fêlés qui laissent entrevoir sa lumière.

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