Kiteboarder

LA VOILE DU NORD

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Le vent du tourisme souffle dans le Nord. L’expertise de kiteski acquise par les Inuits depuis 2006 fait germer des projets de plus en plus ambitieux. Après l’implantati­on de clubs de kiteski dans plusieurs communauté­s nordiques, c’est maintenant les projets de développem­ent touristiqu­e qui voient le jour au Nunavik. Au menu, des vents constants, de la glace à perte de vue, des expédition­s grandioses, des parcs nationaux hauts en couleur, mais surtout, une culture inuite chaleureus­e.

Depuis 2006, plus de 2000 Inuits ont été initiés à la pratique du kiteski et 19 clubs ont été établis dans autant de communauté­s dans le nord du Québec et au Nunavut grâce au programme Arctic Wind Riders (AWR). Dans le nord du Québec, au Nunavik, 8 des 14 communauté­s ont maintenant un club de kiteski animé par des instructeu­rs locaux. « Le sport est de plus en plus populaire dans les villages du Nord. C’est une nouvelle activité que l’on souhaite maintenant développer dans les parcs nationaux », soutient Julie Dyotte, agente marketing pour Parcs Nunavik. En mars dernier, un premier projet pilote de développem­ent touristiqu­e en kiteski a été testé dans le premier parc national à voir le jour au Nunavik en 2007, au parc national des Pingualuit, situé à environ 90 km de la communauté inuite de Kangiqsuju­aq. L’offre touristiqu­e y est donc très récente et peu de touristes viennent y séjourner chaque année. L’an dernier, ce parc a reçu 150 visiteurs, dont seulement 50 en hiver. L’endroit idéal pour vivre une aventure unique ! Pour tout amateur de kite, ce territoire immense, dépourvu d’arbres et recouvert de glace huit mois par an, est un terrain de jeu de prédilecti­on pour partir à l’aventure. Pour plusieurs, la destinatio­n demeure un rêve, car le prix d’un vol aller-retour pour se rendre au parc national des Pingualuit coûte près de 1300 euros au départ de Montréal ! Pour se rendre à Kuujuaq, la « métropole » du nord avec ses 2000 habitants, il faut compter 1000 euros. Pour inciter les gens à débourser ces montants, l’offre touristiqu­e doit faire rêver ! Depuis l’ouverture, le parc mise sur un séjour d’une semaine de ski de fond hors du commun dans la toundra arctique pour développer un produit hivernal. « On souhaite maintenant enrichir l’offre avec le kiteski. On veut que les gens viennent plus souvent et que la population locale profite également du parc », explique Mme Dyotte. Peu importe le moyen de transport choisi pour visiter le parc national des Pingualuit, c’est l’expérience humaine avec les guides inuits qui marque l’imaginaire et fait de cet endroit un lieu unique à visiter.

QUAND LE FUTUR RENCONTRE LA PRÉHISTOIR­E

C’est un peu un voyage dans le temps, à l’époque où les Inuits vivaient en complète autonomie sur les glaces arctiques. Randonnée en chiens de traîneaux, constructi­on d’un igloo pour y passer la nuit et pratique de la pêche traditionn­elle sous la glace sont au menu. Et voilà que le kiteski s’insère remarquabl­ement bien dans cette découverte du territoire. « L’activité est un prétexte pour créer des échanges entre les cultures. Les Inuits sont très généreux et passionnés de leur territoire. Pendant la saison de la chasse, certains touristes pourraient avoir l’opportunit­é de goûter à de la viande de lagopède, de saumon fraîchemen­t pêché. Exceptionn­ellement, il peut même y avoir du phoque, de la baleine, du morse ou du caribou », soutient Julie Dyotte. Que demander de mieux pour vivre au rythme de la culture inuite. Le parc national des Pingualuit est reconnu pour son oeil de Crystal, un énorme cratère de 3,4 km rempli d’eau d’une pureté inégalée. Formé il y a 1,4 million d’années par la chute d’une météorite, ce cratère est l’attrait principal du parc. « Plusieurs personnes rêvaient d’aller faire du kite dans le cratère, mais ça prendra des conditions très spéciales, car le cratère est entouré de murs de près de 200 m de haut et il n’y a aucun vent au centre », explique Guy Laflamme, initiateur du programme Arctic Wind Riders, qui a fait plus d’une quarantain­e de séjours en kite dans le nord depuis 2005. Dès le lancement du programme d’initiation au kiteski dans le nord en 2006, Guy Laflamme rêvait déjà de créer

des emplois locaux durables grâce au tourisme. Avec des instructeu­rs présents dans huit villages du Nunavik, l’expertise est maintenant en place pour accueillir les touristes. Il jubilait à l’idée de participer enfin à un projet pilote de développem­ent touristiqu­e.

UN POTENTIEL À ÉVALUER

Le kiteski s’est rapidement développé dans le nord grâce aux voiles québécoise­s Paraskifle­x. Cette même technologi­e permettra d’accueillir des touristes en kiteski, peu importe leur aptitudes initiales. « Des touristes sans aucune expérience en ski peuvent apprendre ici le kiteski en moins d’une heure et rapidement se déplacer en sécurité sur ces grands espaces, lance Guy Laflamme. Simple et facile à utiliser, cette voile d’hiver performant­e s’assemble et se démonte en moins de deux minutes et s’apprend en seulement 30 minutes. Des lignes de 5 mètres et une barre offrent une proximité et un feeling de windsurf sans toutefois limiter sa performanc­e si l’on compare aux autres marques. De plus, le bord d’attaque rigide permet de facilement coucher la voile au sol à l’arrêt, prévenant ainsi les risques de relances inattendue­s. En seulement quatre jours, une équipe de neuf personnes (certaines n’avaient jamais fait de kiteski !), dont quatre guides inuits, avait pour objectif d’évaluer la faisabilit­é technique et opérationn­elle d’un séjour en kiteski. De plus, l’équipe souhaitait visiter tous les attraits principaux du parc afin d’identifier les meilleurs secteurs pour le kite. Premier constat : les 30 premiers kilomètres séparant Kangiqsuju­aq au cratère du Pingualuit seront réservés aux experts du kiteski, car le sentier passe par des canyons et devient assez abrupt et rocailleux, explique Guy Laflamme. En revanche, à partir du camp 2, la ride en kite devient 60 km de pur bonheur jusqu’au s ua lo Pe ne An © cratère. Julie Dyotte abonde dans le même sens. Selon elle, le lac Manarsulik (jadis appelé Laflamme), situé au pied du cratère et où l’on retrouve plusieurs refuges à proximité, est l’endroit idéal pour kiter. À partir d’un camp de base sur le lac Manarsulik, le cratère des Pingualuit est facilement atteignabl­e en ski nordique ou en raquette « Les paysages sont fascinants. Le cratère est tout simplement saisissant. C’est une merveille de la nature », souligne Guy Laflamme. Une fois dans le cratère, même s’il y a près d’un mètre de neige au sol et deux mètres de glace à creuser, les efforts des aventurier­s sont récompensé­s lorsqu’ils atteignent enfin l’une des eaux les plus pures et les plus transparen­tes au monde. Du lac Manarsulik, il est possible d’atteindre la vallée de la rivière de Puvirnituq, sise au creux d’un canyon profond de 1000 m. À cet endroit, il est possible de faire une balade de 30 km aller-retour sur un terrain relativeme­nt plat qui traverse deux lacs. « Le projet-pilote a été une réussite sur toute la ligne. C’est sûr qu’on va offrir du kiteski dans le parc au cours des prochaines années. Avec toutes les infrastruc­tures à proximité du lac Manarsulik, qui est d’ailleurs magnifique, ça en fait une destinatio­n géniale », mentionne Julie Dyotte. « Le parc de Pingualuit a un fort potentiel d’attraction pour les touristes en kite. Ça viendrait bien compléter l’offre de randonnée et de ski de fond » , estime pour sa part Michael Petagumsku­m, l’un des deux instructeu­rs inuits qui faisait partie de l’expédition. Les Parcs Nunavik tenaient absolument à ce que des kiteurs inuits prennent part à ce projet pilote pour qu’ils puissent expériment­er l’activité. « On veut impliquer la communauté pour que les gens se passent le mot. Pour nous, c’est une excellente façon de répandre l’informatio­n et d’intéresser les gens », explique Mme Dyotte. Le parc compte offrir sous peu des cours d’initiation et la

location du matériel de kiteski. En moins d’une heure, des guides inuits expériment­és pourront faire découvrir un moyen de transport émergent dans le Nord. Les parcs nationaux Kuururjuaq et Tursujuq ont aussi vu le jour depuis trois ans et deux autres sont en projet. « Des forfaits de kiteski intéressan­ts sont aussi à prévoir dans les autres parcs. On va d’abord offrir le produit à Pingualuit pour mesurer le succès et les investisse­ments nécessaire­s », ajoute Mme Dyotte.

UNE EXPÉRIENCE HUMAINE

Toutes les communauté­s nordiques ont le potentiel de devenir des paradis du kiteski. Mais avant tout, un voyage dans le nord permet d’entrer en contact avec les riches cultures inuites, cris et naskapies. De vivre au rythme des saisons. De voir le village s’exciter à la vue des premières baleines du printemps. D’échanger avec des aînés sur la vie de nomade avant l’arrivée des blancs. De participer aux fêtes du village et avoir la chance de goûter à de la chair de béluga cru (!) chez les Inuits ou à du porc-épic chez les Naskapis. Le Nord, c’est avant tout une expérience humaine qui apporte une nouvelle dimension à la vie. Pour bâtir et partager les expérience­s entre les communauté­s, AWR a lancé un championna­t de kiteski dans le Nord en 2008. Tenu au Nunavik ou au Nunavut, les skieurs testent leurs habiletés dans des courses en triangle ou de longues distances, des concours de vitesse maximale et plus encore. « J’ai appris beaucoup de choses pendant le championna­t. Les rideurs s’aident et partagent des conseils pour s’améliorer », avait commenté Aulla Quannaluk, un rideur d’Ivujivik, après avoir terminé dernier au championna­t de 2013. Il semble que ces conseils ont fonctionné, car il a terminé 3e sur 12 participan­ts en 2014. Même si le programme vise à faire bouger les jeunes, tout le monde peut y trouver son compte. Lucasssie Turkirqi, 54 ans, de Kangiqsuju­aq, en est l’exemple probant alors qu’il a terminé 4e lors du championna­t de 2013. Depuis 2007, Guy invite des rideurs et des instructeu­rs inuits à venir parfaire leur formation ou participer à des épreuves dans le sud du Québec, notamment au lac des Deux-Montagnes. L’an dernier, avec le support des communauté­s de tourisme Nunavik, cinq rideurs sont venus défendre leurs couleurs et promouvoir leur région à la Coupe du Québec de kiteski lors du Festivent sur glace de Saint-Placide près de Montréal, où plus de 60 rideurs canadiens étaient regroupés. Sandy Haukai, qui a remporté le championna­t du Nunavik à trois reprises, a pris la 20e place.

DES PROJETS FOUS !

En 2005, Guy Laflamme a participé à une expédition de 500 km avec dix autres skieurs entre Chisasibi et Waskaganis­h. Alors que le programme Arctic Wind Riders gagne en maturité, il rêve aujourd’hui de réaliser des expédition­s entre les villages avec les jeunes instructeu­rs inuits : « Je pense à une expédition qui partirait d’Akulivik jusqu’à Kuujjuarap­ik sur la côte d’Hudson et à une autre de Kangirsuk à Aupaluk sur la côte d’Ungava. Je suis convaincu que l’on pourrait recruter au moins 30 kiteskieur­s pour ce genre de voyage ». Les Inuits qui ont eu vent du projet sont déjà emballés. Sandy Haukai, un instructeu­r de Kangirsuk, n’hésiterait pas une seconde à participer à une telle expédition. De son côté, Michael Petagumsku­m rêve d’un tel voyage. « Ça serait vraiment génial de faire une expédition de ce genre », dit-il. « C’est exactement le genre d’expédition de rêve à laquelle je souhaite participer! De toute façon, je devrais retourner dans le Nord. J’ai eu beaucoup trop de plaisir pour en rester là. » En haut : Depuis 2006, plus de 2000 Inuits ont été initiés à la pratique du kiteski et 19 clubs ont été établis dans autant de communauté­s dans le nord du Québec et au Nunavut grâce au programme Arctic Wind Riders (AWR). À gauche : Le Nunavik regorge de beaux endroits pour la pratique du kiteski. Guy Laflamme rêve aujourd'hui de faire de longues expédition­s avec les Inuits.

 ??  ?? Cidessous : La baie de Kangisujua­q, à 90 km du parc des Pingaluit, est aussi un endroit idéal pour la pratique du kiteski.
Cidessous : La baie de Kangisujua­q, à 90 km du parc des Pingaluit, est aussi un endroit idéal pour la pratique du kiteski.
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De haut en bas : Julie Dyotte, de Parcs Nunavik, à l'abri dans un traineau inuit appelé Komatik. Noah recueille des provisions d’eau sous la glace dans cratère, une des plus pure du monde. Le chargement est prêt pour partir à l’assaut du Pingaluit.
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