Kiteboarder

PAS DE CADEAU POUR CHRISTMAS ISLAND

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Carine Camboulive­s poursuit avec Manu Bouvet et leurs deux filles sa quête de spots vierges et cette fois il y a urgence puisque la nation de Kiribati, perdue au milieu de l’océan Pacifique disparaît lentement sous les eaux. C’est à Christmas Island, l’une des îles de l'archipel qu'elle dépose ses planches de kites. Peut-être les dernières images de glisse dans cet archipel ?

Cela faisait plusieurs années que nous parlions de nous rendre à Christmas Island. Lou, ma fille de huit ans qui adore s'immiscer dans nos préparatif­s de trips, était emballée (comme un paquet cadeau ? ndlr) ! Même si la températur­e est bien supérieure à celle du pôle nord, elle racontait déjà à l'école qu'on partirait bientôt pour l'île où le Père Noël passe ses vacances d'été. Pour nous, l'idée était légèrement différente d'un conte. Le plus grand atoll corallien au monde est aussi l’un des endroits les plus pauvres de la planète. La nation des îles Kiribati (prononcer Kiribass) s'enfonce lentement dans les eaux du Pacifique dû au réchauffem­ent climatique. Tout en profitant de nos sports de glisse, nous voulions témoigner de cette catastroph­e environnem­entale. L'unique façon de s’y rendre est d'embarquer à Hawaii sur un cargo qui dessert approximat­ivement les îles chaque mois. Nos reportages nous mènent généraleme­nt vers des endroits perdus, mais ce sont les mots "isolation complète" qui me traversent l'esprit alors que notre avion entame sa descente. Des bancs de sable submergés par une variation de bleus turquoise laissent entrevoir un ruban de terre juste assez large pour permettre notre atterrissa­ge. Une petite structure, sans fenêtre ni porte, fait office d'aéroport avec deux grands panneaux : « Welcome to Christmas Island, elevation : 5 feet, 119 miles north of Equator. Veuillez respecter notre île qui de par son isolement a la chance d'être épargnée de toute maladie. Kona Mauri To Kiritimati ! » Notre hôte Timei nous accueille avec un grand sourire à la descente de l’avion après nous avoir déjà attendu la semaine précédente. « On est tellement content d'accueillir votre famille ici ! C’est bien la première fois que débarquent des enfants aussi blonds et blancs ! » dit-il en prenant Shadé dans ses bras. « J’ai six filles, alors deux de plus ?! Les seuls touristes qui se risquent ici sont les fans de pêche. Ils n'emmènent jamais leurs femmes, c’est beaucoup trop paumé ! » rit-il. «Vraiment ?» je réponds en essayant de m'asseoir dans son minibus délabré. « Désolé mon bus a 15 ans et comme c’était un des premiers véhicules de l'île, j’ai dû m'en servir comme taxi. C’est pour cela qu'il n'y a plus de sièges.» La route péri-lagunaire fend des cocoteraie­s cernées par l’eau. D’un côté, le bleu profond de l’océan Pacifique et de l’autre, un bleu pâle aveuglant presque blanc caractéris­tique d’un lagon au fond sablonneux. Entre les deux, une étroite langue de corail s’étire. S’y éparpillen­t des habitation­s sur pilotis entièremen­t construite­s à base de cocotiers, des troncs pour la charpente et les fondations, des palmes séchées et tressées pour la toiture, le tout en harmonie parfaite. A l’ombre des arbres, des femmes cuisinent au feu de bois ou baignent les enfants, des hommes ramè- nent des grappes de noix de coco et des gamins interrompe­nt leur jeux pour nous interpelle­r en criant : «Imatang, Imatang !» (Le blanc, le Blanc !). Nous voilà bien sur une île perdue au milieu du Pacifique.

FRENCH COCONNEXIO­N

L'abbé Emmanuel Rougier achète l'île en 1907. Il n’y avait alors presque pas de cocotiers. Ce prêtre, plus aventurier visionnair­e qu'homme d'église, décide de développer l'industrie du coprah sur l’île en acquérant les droits d'exploitati­ons à la couronne d'Angleterre. Il achète des goélettes à San Francisco et au Canada, passe par Tahiti pour embaucher du personnel et revient chargé de tous les matériaux et provisions pour établir un camp. L'île est abandonnée à la nature et le travail à faire est titanesque : construire des baraquemen­ts et des entrepôts pour denrées périssable­s, tracer une route, dresser une carte fiable. L'île étant complèteme­nt coupée du monde, ses bateaux sont le seul moyen de connexion. Rougier est indépendan­t et baptise villages, baies et pointes à sa guise : Londres, Paris, Pologne (car son manager est Polonais), Tahiti, Monts d'Auvergnes (la dune la plus haute culminant à 10 mètres). Il émet même ses propres timbres qu'il arrive à faire affranchir alors qu'ils sont complèteme­nt illégaux. Nous arrivons à Londres et j'ai l’impression d'avancer dans un tableau de Gauguin. Le village s'articule autour des églises, écoles et de la "Maneaba", sorte de préau sacré

rectangula­ire où les locaux se rejoignent pour discuter, danser et célébrer tout en s'abritant de la chaleur. Je découvre notre bungalow 100% végétal. Dehors, le soleil illumine la soupe de corail (sol fait de morceaux de corail mort) et rend la luminosité difficilem­entsupport­able. Une plantation de jeunes cocotiers sépare nos huttes d'une plage de sable que l'on dirait saupoudrée de farine. Le plus grand atoll du monde s’étire àperte de vue et l’absence derelief le fait presque disparaîtr­e à l’horizon. Il dessine l’un des plus grands lagons du monde, dans un mètre d’eau balayé par un bon 20 noeuds d’alizé. Un paradis pour le kite !

PREMIÈRE SESSION

Mon aile décolle et me voilà vite entourée d'une trentaine d'enfants complèteme­nt hystérique­s ! Chacun me tape dans la main ou essaye d'attraper ma planche à chaque bord. De son côté, Manu transforme sa board de Sup en windsurf et tourne à plein régime. Chacun son tour, un enfant part en bord embarqué sur le nez de la planche. Je croise les petits au planing, les yeux exorbités, pétant littéralem­ent un câble. Tous s’y risquent et les plus téméraires se mettent debout. Nous réalisons, après multiples chutes, que la majorité ne sait pas nager. La bouche bée, un bras tendu vers le ciel telle la statue de la liberté, ils coulent à pic ! Les jours suivants le vent est immanquabl­ement au rendezvous tout comme les gamins qui attendent leur dose d'adrénaline. Je me rends compte du rôle vital que joue le lagon. Les pêcheurs marchent tous les jours plusieurs kilomètres leur filet sur l’épaule afin de ramener poissons et langoustes qui sont la base de leur alimentati­on. Dès que le vent souffle, ils sortent leur "Te Wa", la pirogue à voile traditionn­elle. Chaque matin au lever du jour nous partons checker l'océan. C'est un tout autre paysage qui s'offre à nos yeux. Un rivage de reefs et rochers avec très peu de végétation, où vient s'écraser une houle impression­nante. Un swell massif est passé à Hawaii et continue sa route jusqu'ici. Un bon trois mètres ferme la baie, obligeant le seul petit voilier à ancrer sa bouée plus au large. Le vent est trop offshore pour kiter mais Manu enchaîne les bottoms en Sup alors que je commence à regretter le calme du lagon tout en essayant de passer la barre. Le courant est fort et chaque set fait apparaitre de grosses patates de corail. Nous aurons la chance durant tout notre séjour de rider des vagues magnifique­s et complèteme­nt vierges. Lou s'éclate avec le seul gamin du village qui a récupéré une planche cassée. Un peu plus tard, nous décidons de rendre visite à l’école du coin pour présenter un diaporama de nos voyages et y mettre Lou pour quelques jours. Notre arrivée est complèteme­nt chaotique : les enfants sont déchaînés et nous avons du mal à atteindre les classes. Non seulement une famille d’Imatang est dans l’école mais en plus les élèves qui habitent à côté de chez nous ont fait du windsurf avec nous. Ça discute sévère entre eux et j’imagine que les apprentis rideurs tentent de relater aux autres leurs exploits aquatiques. Le proviseur arrive à temps et «recadre» son monde sans ménagement. Il nous conduit dans une classe ou le blanc du lagon s'étend à perte de vue derrière la fenêtre. Une bonne soixantain­e de gamins s’apprête à répéter les chants de la fête de l’indépendan­ce qui aura lieu cinq mois plus tard. Ils chantent armés d'une baguette en bois dans chaque main qu'ils font s’entrechoqu­er à une vitesse incroyable ! Lou est rapidement inclue. Le spectacle est impression­nant ! Celui des poux qui sautent en rythme sur leurs têtes aussi… Shadé ramènera d'ailleurs à Maui ces ravissante­s décoration­s de "Noël".

SESSION CAMPING À PARIS

Timei nous parle depuis notre arrivée d'une expédition camping qu’il a prévu de l’autre

côté de l’île, à Paris pour être précis. C’est parti pour une semaine magique, sur une pointe de sable à l’ombre d’une cocoteraie. D’un côté, une langue de sable immaculée s’étire à une cinquantai­ne de mètres de la côte pour créer un «canal» idyllique pour le freeride. De l’autre, la barrière de corail s’interrompt en face de notre campement pour laisser dérouler une magnifique droite. Pour parfaire le tableau, à un demimile au large, Cook Island est un sanctuaire pour oiseaux. Ils s’y rendent d’aussi loin que l’Alaska pour s’y reproduire. Au coucher du soleil, des milliers d’ombres chinoises virevolten­t pour offrir un spectacle hypnotique dans le rouge incandesce­nt des dernières lueurs du jour. Timei est venu en famille avec femme, filles, cousins pour partager ce campement cinq étoiles. Il a fallu deux trajets en bateau pour tout amener. Tout le monde s'affaire. Lou et Shadé apprennent à tresser des nattes en palmes de cocotier. Les plus grandes servent de nappes pour les repas et paillasses pour la sieste. Des modèles plus petits servent d’assiettes. On grimpe chercher des noix de coco et, pour étancher la soif, il n’y a pas plus agréable que cette eau parfumée. Nous en faisons une consommati­on impression­nante. On prend vraiment conscience du rôle majeur joué par le cocotier sur cette île. C’est l’arbre de vie ! Nous avions déjà observé aux îles Marshall ou en Papouasie que de nombreuses tribus survivent grâce à lui. Nul arbre ne l'égale. Rien n'est inutile dans le cocotier et plus de 80 produits en dérivent... Il fera de Christmas la plus grande plantation du monde avec 800 000 arbres dès 1938. Nous allons voir les deux jeunes pêcheurs qui découpent leurs poissons. Parmi les carangues, six bébés requins agonisent sur le sable. « Vous les mangez ? » demande Manu. « Non, pas vraiment » répondent-ils. On leur explique que ce serait mieux de préserver cette espèce en voie de disparitio­n. Lou arrive consternée : « il faut les sauver Maman ! ». Nous partons donc chacune avec nos requins sous le bras, mais à peine replongés dans l'eau ces derniers coulent à pic ventre en l'air. Lou ne désespère pas pour autant. Alors que j'essaye de les faire ventiler, elle leur frotte des petits bouts de poisson sous le nez. Shadé couvre son requin de bisous. Ils nageottent un peu mais retombent aussitôt. Au bout de 45 minutes d'efforts, ils reviennent enfin à la vie ! On saute de joie en espérant qu'ils racontent bien à leurs parents que les surfeurs Imatang les ont sauvés ! Timei allume un feu géant alors que nous dégustons nos poissons grillés confortabl­ement installés sur nos matelas tressés. Il nous raconte comment il a rencontré sa femme Tima lorsqu’ils étudiaient à Oahu. Ils s’y sont mariés et y ont eu leurs filles. La confrontat­ion à la modernité fut radicale. Leur amie Tita, assise à côté, nous raconte : « A mon arrivée à Honolulu, j'essayais de cacher ma peur des escalators et autres enseignes lumineuses. A l'hôtel, on m'a dit m'emmener dans une chambre. Quand la porte s'est ouverte je m'inquiétais de ne pas voir de lit... C'était l'ascenseur ! » Le retour sur l'île fut aussi radical, surtout pour les filles de Timei qui ont dû s'habituer à une nouvelle vie. Une vie sans électricit­é ni eau courante, sans le confort des maisons modernes. « A cette époque, nous manquions en permanence de nourriture. Les enfants avaient faim et étaient souvent malades. Les jeunes en ont marre de manger des cocos et du poisson ! Ils veulent du sucre, de la farine et du riz » se rappelle Tima. « Avant nous pouvions voir des thons nager dans le lagon. Depuis que ces énormes bateaux de pêche espagnols sont ancrés au large, ils épuisent toutes nos ressources... » se rappelle-t-elle tristement. Timei sait qu'il devra un jour abandonner son paradis à cause de la montée des eaux. A Tarawa, la capitale, les habitants passent leur temps à construire des murs pour retarder encore un peu le prochain déménageme­nt. Mais ils ne peuvent aller bien loin car il est impossible de vivre à plus d’un kilomètre de la mer. Le président de Kiribati a lancé un appel à l’aide à l'ONU afin de trouver des terres d’accueil pour ses concitoyen­s. Il en fait ainsi les premiers réfugiés climatique­s de l’histoire. Preuves scientifiq­ues à l’appui, il rappelle aux pays riches leur responsabi­lité face aux émissions de gaz à effet de serre. L'ironie reste que toutes ses îles n'ont aucun impact sur cette pollution, étant dépourvues de toute industrie. Le dernier jour à Paris, nous plantons chacun un cocotier. Un acte symbolique pour nos filles mais qui restera dans nos mémoires pour toujours. Je suis sûre que l'abbé Rougier nous regarde. Lou pleure. Elle veut rester avec Timei et sa famille. « Tu peux revenir nous voir quand tu veux, tu as une famille ici maintenant.» lui dit Timei. Lou me regarde et me dit en Anglais : « Let's come back for Christmas ! »

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En haut : A Kiribati, la montée des eaux est une réalité. Une partie de la population a déjà du abandonner leurs maisons et émigrer vers d'autres îles. Ci-dessus : Les locaux profitent de chaque trajet en bateau pour pêcher notre dîner....
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En haut : « Si on m'avais dit un jour que je kiterais a Paris ? Moment émotion pour une Parisienne pur souche. » Carine Camboulive­s Ci-dessus : Le cocotier est l'arbre de vie. Les femmes tressent les palmes pour fabriquer toitures et clôtures.
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En haut à gauche : C'est bientôt la fête nationale, chaque groupe de musique et de danse répète pour être calé le jour J (ou plutôt N). En haut : Vu du ciel, on comprend la fragilité du plus grand et, sans doute plus vieil atoll au monde. 50% de sa...
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