Etienne Jodelle : après le feu, la colère
Après l’incendie, les habitants du quartier Etienne-Jodelle, à La Ferté-Bernard, sont en colère. Ils se sentent délaissés par le bailleur social Sarthe Habitat. Devant leur immeuble touché, ils se livrent.
L’incendie sur le toit d’un immeuble dans le quartier Etienne-Jodelle, vendredi 19 avril, à La Ferté-Bernard a fait de nombreux dégâts (lire page 3). Des dégâts matériels avec des appartements inhabitables, mais aussi psychologiques pour des habitants qui se retrouvent confrontés à un deuxième incendie en quelques mois.
Certains locataires n’ont pas pu sortir seuls. Pris au piège, ils ont été évacués à la grande échelle des sapeurs-pompiers.
« Au feu! »
Pendant que ces derniers pointaient les lances sur le brasier, l’équipe municipale était sous un barnum, à quelques mètres, pour recenser les habitants. Quaranteneuf personnes ont été comptabilisées pour être relogées, dirigées vers le foyer logement « Le Closeau » quelques heures avec boissons chaudes et gourmandises. Certains ont préféré une solution familiale, ou même rester dans leur voiture.
Sur place, les réactions d’habitants ne se sont pas faites attendre. « La dernière fois, c’était la nuit, c’est encore plus stressant », expliquait Jacqueline, qui loge au quatrième étage. « J’étais chez moi, j’ai entendu ‘Au feu’. Je suis sortie le plus vite possible. » A côté d’elle, Nadège avec sa fille : « Ma fille se remettait à peine du premier incendie... Ça fait peur », soufflait-t-elle.
Immeuble condamné
Parmi les discussions entre riverains, cette femme pestait : « Je vais partir de là, ce n’est plus possible ! » Un sentiment largement partagé, quelques jours après l’incendie, au pied du 6, rue Etienne-Jodelle. « Il y a beaucoup de gens qui veulent partir », lance cet homme, qui entre alors dans l’immeuble voisin.
Jacqueline, encore sonnée de cet événement, revient sur les lieux en espérant trouver un représentant de Sarthe Habitat, le bailleur social en charge de l’immeuble... Malheureusement, personne.
L’entrée a été condamnée d’ne grosse planche de bois vissée. Comme beaucoup de locataires, elle a été relogée dans un hôtel de la ville... Le lendemain, mardi 23 avril, nous la retrouvons, rassemblée avec d’autres camarades de galère : « On a pu récupérer quelques affaires, vendredi, vers 22 h 30, en compagnie d’un pompier. Mais c’était en coup de vent. J’ai pu prendre quelques médicaments... » D’autres ont également récupéré leurs animaux (chat, serpent...)
Des ouvriers en tension
La tension du feu redescendue, la colère prédomine toujours dans les bouches de ces locataires. « Nous allons porter plainte ensemble contre la société qui a réalisé les travaux pour mise en danger d’autrui. Ils n’ont même pas appelé les pompiers... Nous allons réclamer des dommages et intérêts », lance Elhya, qui assure avoir prévenu les secours elle-même.
Alors que l’enquête se poursuit, aux dires de certains riverains, les ouvriers en plein travaux d’étanchéité auraient été entendus hausser le ton, et vus à deux doigts de se bagarrer. « De mon balcon, j’entendais crier très fort. Mais je ne comprenais rien, ils ne parlaient pas en français. Un ouvrier a jeté le chalumeau pour aller s’expliquer avec son collègue, le toit a commencé à s’embraser, il est parti en courant » , lâchet-elle, approuvée par deux autres locataires.
Une fuite qui s’explique possiblement par l’avancée ou la propagation du feu. A ce moment, les ouvriers ont peut-être eu le réflexe de sauver leur vie. C’est ce que l’enquête en cours tentera de définir.
Elhya reprend la main et poursuit sur sa lancée... « Nous allons aussi attaquer Sarthe Habitat. Cet immeuble ne contenait aucun extincteur, ce n’est pas normal », affirme-t-elle.
Et les locataires continuent de charger le bailleur social : « Sarthe Habitat nous a assuré prendre des nuits d’hôtel à sa charge. Aujourd’hui, ils commencent à changer de discours ». (ce que Sarthe Habitat dément, lire l’encadré)
De l’eau dans les appartements
Puis, c’est aux assurances d’entrer en jeu pour certains sinistrés, « tant que l’expert n’est pas passé, on ne touche rien, explique Valérie, dans l’attente. Alors, je collectionne tous mes tickets de caisse ».
Pendant ce temps, Elhya montre les vidéos de son appartement du deuxième étage, qui baigne les pieds dans l’eau. « Il y avait de l’eau jusqu’au rezde-chaussée », glisse Atika. Selon nos informations, l’eau a été entièrement aspirée dans tout l’immeuble.
Mais le problème des locataires, c’est aussi qu’ils vivent au jour le jour. « Nous sommes à la rue dans quelques jours », lance Cindy, qui venait d’emménager dans le quartier. Tous se mettent alors d’accord : tant qu’il n’y aura pas de solution trouvée par Sarthe Habitat, « on va squatter l’hôtel, on ne va pas quitter notre chambre ».
Un loyer à payer ?
Même si cela demande une logistique à tenir pour les repas... « Nous devons manger froid, nous n’avons qu’une bouilloire. Heureusement, les petits-déjeuners sont pris à l’hôtel », note Valérie, qui garde son sourire. Les autres proposent alors : « pourquoi la banque alimentaire ou les Restos du Coeur ne nous contactent pas ? »
Parmi les locataires, certains partagent quelques repas pour un peu plus de convivialité dans ce moment difficile. « Hier (lundi), j’ai passé ma journée à pleurer », souligne Jacqueline. « On a le droit à une aide psychologique, nous avons reçu un message de Sarthe Habitat avec un numéro vert », coupe Benjamin.
Quand Valérie tient à mettre en avant la solidarité de quelques habitants du quartier. « Certains proposent de faire des machines, demandent des nouvelles. Je voudrais vraiment les remercier. »
Sébastien continue : « une dame s’est proposée pour nous accueillir à manger le soir. On l’appelle, et on peut aller chez elle ». Mais tous sont unanimes : « on n’ose pas demander de l’aide. On ne veut pas déranger ».
Se pose aussi la question du loyer. « Je vais bloquer les prélèvements », assure ce locataire. « Nous allons payer un loyer complet en avril, alors que nous n’y sommes pas du 19 au 30 ? » s’interroge Elhya.
Devant la mairie ?
Jacqueline - dont l’appartement n’a été que partiellement touché (une vitre brisée) - s’est vue proposer une solution de relogement... à Vibraye. « Mais je ne veux pas bouger de La Ferté-Bernard, j’y suis née. En plus, ils veulent m’envoyer làbas pour toujours. J’ai posé la question si c’était temporaire. Ils m’ont dit que si je voulais revenir, ce serait à mes frais », s’énerve la retraitée.
Les autres n’ont reçu aucune proposition, mais ne comptent pas non plus partir de la cité fertoise. « Mes enfants sont scolarisés ici », souligne Cindy. Et ils font savoir : « il y a des logements vides qu’ils gardaient pour des Ukrainiens. Pourquoi nous n’en profiterions pas ? »
Pour se sentir écoutés, les locataires veulent aller encore plus loin. « Nous envisageons de camper avec nos toiles de tente devant la mairie, pour être vus, si rien ne bouge ».