L’Écho de la Presqu’île (SN)

Le notaire et sa négociatri­ce immobilièr­e sont-ils coupables d’abus de faiblesse?

Un notaire de 63 ans et son ex-négociatri­ce immobilièr­e de 49 ans étaient à la barre du tribunal de Saint-Nazaire, soupçonnés d’avoir profité de la vulnérabil­ité d’une dame âgée pour sous-évaluer l’un de ses biens.

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Le compromis de vente avait été signé en avril 2021 pour 70 000 €. « La ruine », bâtisse à rénover sur un terrain de 1500 m², a été vendue un an et demi plus tard pour 110 000 €.

Lors du procès au tribunal correction­nel de Saint-Nazaire le mardi 20 février, la vulnérabil­ité de la dame, alors âgée de 88 ans, dont c’était un bien propre, a été au centre des débats.

L’acquéreur ? Le mari de la négociatri­ce

Placée en Ehpad à la suite d’un AVC datant d’avril 2020, l’octogénair­e souhaitant vendre ce bien de famille, son mari contacte l’étude et à trois reprises la négociatri­ce rend visite à la vendeuse.

Présent à l’audience, son mari est assisté par Me Fabien Pavy. Une seule fois, l’époux, conduit par la prévenue, est présent.

Le notaire annule la vente

En mai, s’étonnant de ne recevoir aucune informatio­n, « il contacte la négociatri­ce pour apprendre qu’un compromis de vente a été signé sans qu’il en soit informé, et envoie un courrier à l’étude ».

L’acquéreur — et ce n’est pas illégal selon la présidente- n’est autre que le mari de la négociatri­ce.

Le notaire, qui ne s’est rendu à l’Ehpad que lors du premier rendez-vous, dénonce aussitôt la vente. Le bien sera vendu un an et demi plus tard pour 40 000 € de plus.

Lors de l’audience, la présidente s’étonne d’abord que les prévenus, poursuivis pour « abus frauduleux de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne vulnérable », se soient rendus dans l’établissem­ent sans signaler leur présence à la direction. Comme elle s’étonne de l’absence du mandat de vente.

« Vive d’esprit »

À la barre, la quadragéna­ire se défend : « Je n’ai jamais rien vu d’inquiétant chez cette dame. Elle avait un discours cohérent ». Elle affirme qu’elle n’a pas informé son mari parce que lors de leur déplacemen­t, il lui avait confié « ne pas vouloir s’en occuper ».

Le notaire s’exprime assez peu : « Je n’ai parlé à la cliente que le temps de la signature, elle m’a parue vive d’esprit… J’ai suivi le mouvement. Mais quand j’ai reçu un courrier de son mari, j’ai tout arrêté ». Il insiste : « Je ne voulais pas que la famille soit insatisfai­te de mes services ». Mais l’enquête et notamment les expertises psychiatri­ques de 2022 mettent en évidence des troubles cognitifs apparents, probableme­nt plus accentués lors de la signature en 2021.

La victime vit toujours dans l’Ehpad et bénéficie désormais d’une mesure de protection.

Rappelant que l’affaire est partie d’un signalemen­t du directeur de l’Ehpad, la procureure ne semble pas apprécier « la constance des prévenus à rejeter la faute sur le couple ».

À ses yeux, « la vulnérabil­ité de l’octogénair­e était évidente, et l’abus de faiblesse est caractéris­é ». Estimant que c’est «la négociatri­ce qui a manoeuvré », elle juge néanmoins que « la responsabi­lité du notaire est au moins égale ».

«Un bien très mal fichu»

Les deux avocates de la défense plaident la relaxe. Me Stéphanie Parisi mentionne que l’expert psychiatri­que a écrit « probableme­nt en état de faiblesse », et reprend les termes de sa cliente : « Un bien pas viabilisé où tout était à refaire, très mal fichu, très mal placé ».

Sa consoeur, Me Corinne Demidoff, martèle : « Non, l’état de faiblesse de la dame n’était pas apparent lorsqu’il est allé lui faire signer la procuratio­n, et ce n’est pas lui qui a évalué le bien ».

«Les travaux sont conséquent­s et l’acquéreur vit actuelleme­nt dans un mobilhome », a tenu à souligner la prévenue qui travaille désormais dans un autre secteur d’activité.

La procureure a requis la même peine pour les deux prévenus au casier vierge : douze mois de prison avec sursis, une amende de 10000 € et une interdicti­on d’exercer une profession en lien avec l’infraction commise pendant un an. Le jugement sera rendu le 9 avril.

« La vulnérabil­ité de l’octogénair­e était évidente »

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