L’Éclaireur (Vimeu Trois villes soeurs Vallee de la Bresle)
Une amitié trop intéressée : le conseiller en patrimoine dans un cabinet d’assurance écope d’un an ferme
Un homme d’une cinquantaine d’années, conseiller en patrimoine dans un cabinet d’assurance à Eu, aurait profité de l’amitié d’un client pour lui soutirer d’importantes sommes d’argent. Il vient d’être condamné à un an de prison ferme.
Un couple, aujourd’hui séparé, a comparu devant le tribunal correctionnel de Dieppe pour répondre de faits commis en 2016. Elle était alors chargée d’affaire dans une banque de la ville d’Eu et est poursuivie pour recel. Lui, âgé de 50 ans, était conseiller en patrimoine dans un cabinet d’assurance également installé à Eu. Dans le cadre des ses fonctions, il gère les affaires d’une vieille dame et sympathise avec son fils, un homme âgé d’une soixantaine d’années qui exerce la profession de chauffeur de taxi en région parisienne.
Selon le prévenu, une amitié sincère se noue entre les deux hommes. Au décès de la vieille dame, le fils hérite d’un patrimoine substantiel comportant notamment une maison à Crielsur-Mer. Et lorsque lui-même tombe malade, il demande à son ami, le prévenu, de venir le chercher à Paris et de le ramener à Criel-Sur-Mer où il semble vouloir terminer sa vie.
Il faut dire qu’après un divorce compliqué, l’homme serait en froid avec l’ensemble de sa famille, y compris ses deux filles avec lesquelles les échanges sont réduits au strict minimum.
Selon le prévenu, la volonté de la victime était de laisser le moins de biens possible à ses deux filles. Dans les quelques mois qui précèdent sa disparition au printemps 2016, il souscrit une assurance vie au profit de la SPA et de son assistante de vie, puis une autre au profit du prévenu, dont le capital sera augmenté et utilisé juste après le décès pour rembourser des crédits importants.
Un bateau, un garage, des virements bancaires...
Alors qu’il est souffrant et fait des allers-retours à l’hôpital d’Eu, il ouvre un compte dans l’agence bancaire où travaille la prévenue, y transfère ses comptes et effectue un retrait de 25 000 € au total. Pour cette opération, il est accompagné du prévenu qui justifie ce retrait par la volonté de l’homme malade d’acheter un bateau avec lui, pour aller voir les dauphins.
Il financera également la construction d’un garage au domicile des prévenus pour y abriter le bateau. Des virements pour un montant de 40 000 € et des retraits au distributeur seront également relevés par les enquêteurs.
Ces derniers seront alertés assez longtemps par les deux filles du défunt qui, dans le cadre du règlement de la succession, voudraient bien rencontrer cet ami dont on leur dit qu’il a été un soutien infaillible de leur père jusqu’au bout de sa vie, ce qui est sans doute vrai.
La rencontre se fait dans la rue, et l’homme leur dit qu’il a été gendarme et même membre du GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie nationale) et qu’il a accompli plusieurs missions à l’étranger. Cela éveille quelques doutes, et un signalement est fait auprès des services chargés de la protection des personnes vulnérables.
Plus de 100 000 € de « cadeaux »
Une longue enquête va alors débuter, aboutissant à la comparution du 6 février devant le tribunal correctionnel de Dieppe.
L’homme, aujourd’hui installé dans le sud de la France, reste droit dans ses bottes : il n’a pratiquement rien demandé, rien sollicité, et c’est par pure amitié et parce qu’il voulait déshériter ses filles que le défunt s’est montré aussi généreux.
Son ex-épouse n’affiche pas la solidarité qu’il aurait sans doute espérée : « Je lui disais que notre train de vie était trop élevé, mais il ne m’écoutait pas, il faisait ce qu’il avait décidé ».
Me Blin, pour les filles du défunt, n’apprécie pas du tout que l’avocate du prévenu puisse remettre en cause la paternité du défunt. Il souligne que, certes, les rapports se résumaient à quelques SMS « mais c’est tout de même leur père ». Il estime que ses clientes ont été spoliées à hauteur de près de 400 000 €, même si l’enquête évalue les « cadeaux » entre 114 000 et 124 000 €.
Pour Étienne Thieffry, Procureur de la République, le prévenu est un beau-parleur, affabulateur, et son épouse, de par sa profession, ne pouvait avoir de doute sur le côté anormal de la situation. Il requiert 8 mois de prison avec sursis contre la femme, et 2 ans de prison dont un an ferme à effectuer sous surveillance à domicile pour le mari. Il requiert également à l’encontre de ce dernier 15 000 € d’amende et une interdiction définitive d’exercer un métier en lien avec les faits reprochés.
Pour le prévenu, Me Capitaine insiste sur le fait que l’« ami », bien que très diminué physiquement, a conservé jusqu’à son dernier souffle toute sa lucidité, et elle rappelle les témoignages sur le rôle attentionné et précieux qu’a tenu son client. « Au banquier qui est allé chez lui pour rédiger les contrats d’assurance vie, il a indiqué que ses deux filles n’attendaient que sa mort pour hériter ».
Me Descamps, pour la femme, demande que la bonne foi de celle-ci soit retenue. Et elle rappelle les mots qu’elle a tenu devant les gendarmes : « J’ai vécu pendant 10 ans avec un homme dont je ne sais même pas qui il était ».
Le tribunal a suivi à la lettre les réquisitions du Parquet : l’amitié était trop intéressée. Il renvoie l’affaire sur intérêts civils au 26 juin 2024.