LOVE STORY
Même s’il n’a rien gagné avec Southampton ni Tottenham, Mauricio Pochettino a laissé un excellent souvenir en Angleterre, où il a démontré ses qualités d’entraîneur, mais aussi de communicant.
Parmi les multiples mérites que l’on peut reconnaître à José Mourinho, il y a celui-ci: quand il évoque ses confrères, le Portugais sait toujours appuyer là où ça fait mal. En mai 2019, alors qu’il était interrogé dans ces pages sur Mauricio Pochettino, le «Mou» avait fait mine de s’interroger: «Il a
gagné quoi, quel trophée?» Une manière de rappeler que, depuis ses débuts sur le banc avec l’Espanyol Barcelone en 2009 (voir L’Équipe d’hier), l’Argentin n’a toujours pas garni son palmarès. Et ce, malgré des expériences à Southampton (janv. 20132014) et surtout à Tottenham (2014nov. 2019), considérées outre-Manche comme des franches réussites. On subodore que c’est justement ce qui horripile Mourinho, ce décalage entre l’absence de titre et le statut de «modern manager» que les médias ont attribué à Pochettino, en Angleterre et ailleurs : en 2019, RMC lui avait consacré un documentaire très réussi au titre éloquent: l’Entraîneur du futur.
D’un strict point de vue sportif, cet écart peut en partie s’expliquer. S’il n’a donc rien gagné, le nouvel entraîneur du PSG a obtenu des résultats très consistants ces dernières années. En 2014, il a terminé 8e de Premier League avec Southampton, ce qui constituait alors le meilleur classement de l’histoire du club. Puis, avec Tottenham, il a conclu trois saisons d’affilée sur le podium (entre 2016 et 2018), une performance inédite pour les Spurs depuis le début des sixties. Sans oublier, évidemment, que l’Argentin a disputé deux finales avec les Londoniens: celle de la Coupe de la Ligue en 2015 (0-2 face à Chelsea) et surtout celle de la Ligue des champions en 2019 (0-2 face à Liverpool), à l’issue d’un parcours marqué par les éliminations de Manchester City (1-0, 3-4) en quarts et de l’Ajax (0-1, 3-2) en demies après des scénarios ébouriffants.
Pas reconnu par Alex Ferguson lors d’un match à Old Trafford
Lors de son passage à Tottenham, il a aussi su favoriser un jeu spectaculaire (subtil mélange, en phase offensive, de phases de transitions et d’attaques placées) et faire progresser des jeunes du cru (Harry Kane, Dele Alli, Eric Dier…). Enfin, on rappellera que Pochettino a relevé ces différents défis malgré l’exil de son équipe à Wembley entre août 2017 et avril 2019 (en raison des travaux liés à la construction du nouveau stade) et en dépit de la prudence de son club sur le marché des transferts (aucun achat de joueur entre janvier 2018 et l’été 2019).
Reste que tous ces arguments mis bout à bout ne justifient pas l’aura dont bénéficie en Angleterre celui qui y est affectueusement surnommé« MoPo»ou«Po ch »( prononcez «Potch»). Si l’on excepte le ronchon Mourinho, les entraîneurs les plus réputés de Premier League ont régulièrement salué son travail, à l’image de Pep Guardiola ( « c’est l’un des meilleurs managers du monde » ) ou d’Alex Ferguson. Dans une scène marquante du documentaire l’En
traîneur du futur, on voit l’Écossais, juste avant un Manchester United-Southampton (2-1, le 30 janvier 2013), oublier dans un premier temps de serrer la main de l’Argentin, qu’il n’avait manifestement pas reconnu, celui-ci venant tout juste d’être nommé chez les Saints. Ce qui n’a pas empêché Fergie de lui tirer son chapeau à l’issue de la rencontre : « En deuxième mitemps, Southampton a été la meilleure équipe qui a joué à Old Trafford cette saison. Il sont joué extraordinaire ment bien .»
“Je ne lui serai jamais assez reconnaissant. J’aurai toujours une dette à son égard
HARRY WINKS, SON ANCIEN JOUEUR À TOTTENHAM
Il est frappant de constater que la très grande majorité des joueurs de Premier League ayant évolué sous ses ordres en disent le plus grand bien, au-delà des compliments un peu forcés que formulent les footballeurs lorsqu’on les interroge sur leur coach. «Dès que je l’ai rencontré (…) une relation de confiance est née» , confiait Hugo Lloris à L’Équipe, en 2017, tandis que le milieu Ryan Mason a, lui, affirmé «qu’il se lancerait sur un mur de brique si Mauricio le (lui) demandait» (dans The Sunday Telegraph, en 2019). Harry Winks a récemment indiqué à son sujet dans le Times: «Je ne lui serai jamais assez reconnaissant. J’aurai toujours une dette à son égard.»
Mais en Angleterre, la confrérie qui a été la plus élogieuse à propos de Pochettino a été sans conteste celle, si influente dans ce pays, des journalistes. Il faut relire les louanges que lui a adressées Henry Winter, plume réputée du Times, au moment de son départ de Tottenham, en novembre 2019, avec un article qui débutait par les paroles d’un chant qu’entonnaient les fans des Spurs à la gloire de l’Argentin: «He’s Magic You Know» ( «Il est magique, vous savez» ). Car ce dernier a littéralement fasciné les suiveurs de Southampton et de Tottenham qui l’ont fréquenté au quotidien, ainsi que les éditorialistes des grands quotidiens, tout ce petit monde contribuant à sa flatteuse réputation actuelle.
L’affaire avait pourtant bien mal commencé, comme nous le rappelle Guillem Balagué, auteur en 2017 d’un ouvrage décryptant la méthode de «MoPo» ( Brave New World): «Quand il a débarqué à Southampton, Mauricio parlait un anglais correct, mais Roy Hodgson (alors sélectionneur de l’Angleterre) lui a conseillé de faire appel à un interprète afin que ses propos ne soient pas déformés. Résultat, il faisait ses conférences de presse en espagnol, ce qui a d’abord fait un peu jaser…»
Cependant, il a très vite captivé les journalistes locaux, à l’image d’Adam Leitch, qui travaillait à l’époque pour le Southern Daily Echo: «On était quatre ou cinq à chaque conférence de presse. Il venait nous voir, avant ou après ses prises de parole, pour discuter en anglais avec nous. Parfois, il glissait des choses qu’il ne pouvait pas dire en “on” mais, généralement, c’étaient simplement des discussions amicales, pour savoir comment on allait. Au-delà de ses qualités d’entraîneur, incontestables, j’ai apprécié les qualités humaines de Mauricio.»
Une fois que«Po ch» are jointTot te nham, ses relations avec les médias ont évolué, parce qu’il ne pouvait plus développer la même proximité avec les nombreux reporters qui suivent le club londonien, mais aussi parce qu’il devait désormais s’exprimer uniquement dans la langue de Shakespeare (une exigence de son président, Daniel Levy). Mais là encore, le charme a opéré assez rapidement. «Ils sont tous tombés amoureux de lui» , sourit Balagué. Il faut dire que Pochettino n’a pas ménagé ses efforts, accordant à l’occasion des entretiens individuels (à la différence d’un Pep Guardiola par exemple) et participant parfois aux clashs de coaches qui pimentent le quotidien de la Premier League. Ainsi, il n’avait pas hésité à reprendre de volée Guardiola, qui avait eu le malheur de décrire les Spurs comme «l’équipe d’Harry Kane» , ou Antonio Conte, quand celui-ci oeuvrait à Chelsea, parce qu’il avait laissé entendre que Tottenham manquait d’ambition.
«En conf’, c’était un très bon client, témoigne Jack Pitt-Brooke, du site The Athletic, qui a longtemps suivi la formation londonienne pour The Independent. Il se gardait bien de décrypter ses options tactiques, mais on passait souvent un bon moment parce qu’il parlait avec chaleur de la passion, de l’émotion, du désir que devaient démontrer ses joueurs sur le terrain... Ses propos tendaient même occasionnellement vers une forme de spiritualité.» C’est sans doute cette dimension presque mystique qui a fini de séduire Pitt-Brooke et ses collègues, dans un Royaume où l’on chérit l’irrationnel sous toutes ses formes.
À plusieurs reprises, Pochettino a mentionné face aux médias sa croyance en une «energia universal» , une sorte de dynamique globale, générée par des volontés particulières, qui guiderait parfois nos actions,
sans que l’on s’en rende forcément compte (si on osait, on comparerait ce phénomène à la Force, telle qu’elle est décrite dans Star Wars). Selon «MoPo» le titre de champion décroché à la surprise générale par Lei cester en 2016 s’ expliquerait ainsi, dans une certaine mesure, par cette «energia universal» , car tous les amateurs de foot souhaitaient le succès des surprenants Foxes, au détriment de leur principaux rivaux…
Au fil de ses années anglaises, Pochettino est toujours parvenu, au moment d’aborder les difficultés de son équipe, à masquer ses propres erreurs par une communication brillante. De sorte que, lorsqu’il est évincé de Tottenham en novembre 2019, après un début de saison catastrophique (sa formation n’avait remporté que trois matches en douze journées), les analyses dans la presse soulignent moins ses responsabilités dans ce fiasco que celles des joueurs (qui ne croyaient apparemment plus en son management) et de Daniel Levy( qui aurait été trop réticent à dépenser).
Ce qui nous a fait demander à PittBrooke si, avec le recul, il n’avait pas, inconsciemment, un peu ménagé l’Argentin dans ses articles publiés au cours de cette période. «Peut-être… c’est possible. Il savait se montrer persuasif, reconnaît-il. On ressentait tous de la sympathie pour lui.» En ce sens, il n’est guère surprenant que, malgré les effets du Brexit et du Covid-19, les premiers pas de «Poch» à Paris soient suivis de près par les médias anglais.
“Au-delà de ses qualités d’entraîneur, incontestables,
,, j’ai apprécié les qualités humaines de Mauricio
ADAM LEITCH, JOURNALISTE SUIVANT SOUTHAMPTON À L’ÉPOQUE OÙ POCHETTINO EN ÉTAIT L’ENTRAÎNEUR