Clairefontaine, laboratoire du futur
La maison des Bleus va ouvrir à la rentrée un centre de recherche dédié à l’innovation dans le football, avec un axe fort sur les data. « L’Équipe » dévoile les contours de ce projet inédit qui associera spécialistes du football, chercheurs et sociétés te
Pour l’instant, l’endroit ne ressemble qu’à une maisonnette pavillonnaire jonchée de gravats. À quelques mètres seulement du portail d’entrée de Clairefontaine, en bordure d’une route où il n’est pas rare de croiser écureuils et petites biches, des ouvriers s’époumonent afin de redécorer le lieu à la sauce start-up. Car début septembre, la maison du football français s’apprête à accueillir un tout nouveau centre de recherche dédié à l’innovation dans le football.
Pourquoi ce projet ?
« On veut voir ce qui se joue à dix ans »
L’idée a été impulsée par la Direction technique nationale (DTN), laquelle a mis en place une équipe référente autour de Franck Thivilier, l’adjoint du DTN Hubert Fournier. Avec Chloé Leprince, psychologue du sport, Christopher Carling, passé par le LOSC et qui a publié une centaine d’articles scientifiques, et Thomas Pavillon, responsable du développement de la préparation physique, l’escouade (1), entourée de plusieurs étudiants masters et doctorants, souhaite mener un projet innovant. «On n’a pas envie de faire de l’existant, assure Thivilier, on veut voir ce qui se joue à dix ans.» Souvent taxée d’être à la remorque sur les sujets universitaires, la FFF s’érige cette fois en pionnière, avec pour sources d’inspiration certains clubs ou entreprises. On pense bien sûr au Toulouse F C, qui possède des données sur plus de 40000 joueurs, selon son président Damien Comolli, ou au groupe Red Bull, considéré par beaucoup comme un modèle.
Cette initiative fédérale résulte des remontées du terrain. Confrontés à de nouvelles problématiques générationnelles et technologiques, les éducateurs sont en attente de solutions, dont le centre devra faciliter l’émergence. Un exemple: le manque d’attention croissant des joueurs lors des séances d’entraînement. Pour tenter d’y remédier, la FFF travaillera de concert avec Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), spécialisé sur le sujet.
L’idée globale du projet est claire: il s’agit d’explorer les outils et données qui peuvent être utiles dans le futur et de les partager, à la Fédération comme avec les centres de formation des clubs. Le tout dans un cadre éthique: pas question de commercialiser les données.
Quelle utilisation des données ?
« Ce n’est pas pour éliminer »
Le centre de recherche va travailler sur plusieurs axes: les data, les technologies, les nouveaux processus d’apprentissage, à chaque fois au service de la performance. Les dingues de statistiques vont être ravis, ils pourront pousser leurs expertises avec plein de nouveaux chiffres purement «football», puisque la société Stats Perform est associée au projet. Pour la FFF, l’un des objectifs consiste à mieux appréhender certaines évolutions du jeu (le nombre de tirs depuis l’extérieur de la surface est en chute libre). Et à mieux lire certaines données, comme les expected goals (buts attendus selon la position des joueurs). Déjà d’actualité, ils sont intéressants à étudier, mais souffrent de plusieurs écueils. La trajectoire du ballon n’est, par exemple, pas prise en compte. Pour toutes les données, Carling rappelle d’ailleurs qu’il convient de les contextualiser. Brutes, elles ne valent pas grand-chose: il est arrivé plus d’une fois qu’un joueur se révèle efficace devant le but alors que sa grille de statistiques n’avait rien d’extraordinaire.
Concernant l’utilisation des données, l’espoir réside aussi dans la capacité à trouver des effets prédictifs afin de faire des points d’étape à certains âges. «On veut, entre autres, se demander pourquoi Untel ou Unetelle a fini son parcours en sélection à tel âge et l’autre pas, questionne Thivilier. Connaître ce qui les différencie. » L’idée est de marier un maximum de données et d’accompagner les joueurs, de rectifier s’ils s’égarent. Au risque de se diriger vers un formatage? «Ce qu’on est en train de faire, ce n’est pas pour éliminer, promet Thivilier. On veut juste faire en sorte que la data et notre projet global soient ajustés au développement des joueurs. Et ce qu’on souhaite, c’est que nos techniciens s’y acculturent. Pas que ça devienne anxiogène pour eux.»
Quel futur pour le football ? Une place importante accordée… à la santé et au bien-être
Le centre de recherche va être dédié à des problématiques de jeu, mais aussi à un pan un peu plus éloigné des traditionnel s débats sur le 4-4-2. Il sera notamment question ... de bien-être et de santé. Des éléments parfois dé corrélés des performances intrinsèques alors qu’ils peuvent influer sur elles. «On oublie parfois que l’être humain est hypersensible, pointe Thivilier. Or il y a déjà des résultats qui interpellent. Par exemple, quand les résultats sportifs ne suivent pas, une des choses qui se dégradent en premier chez l’entraîneur, ce n’est pas la qualité des relations humaines, ce sont les pratiques personnelles, le sommeil ou l’alimentation.»
La FFF va donc s’appuyer sur des sociétés qui développent des outils favorisant la gestion du stress. Exemple déjà expérimenté lors de la formation du BE P F( brevet d’entraîneur professionnel de football, le plus haut diplôme en France): les thérapies digitales avec la société Music Care. Certaines mélodies personnalisées aident, par exemple, à mieux trouver le sommeil. Notre photographe Alain Mounic a testé le produit pour vous, et il en redemandait. Observés aussi: la qualité de vie dans les espaces de travail et de vie pour les joueurs comme les encadrants via des «fauteuils bulles» relaxants, l’aménagement du mobilier ou encore… les couleurs. C’est scientifiquement prouvé, les équipes évoluant en rouge ont plus de chances de gagner un match! «Ces facteurs ne sont pas simplement de confort, estime Leprince. Ils sont aussi à considérer dans le parcours de performance.»
Côté technologique, des universités comme celle de Rennes II seront mises à contribution. La structure bretonne est l’une des spécialistes européennes de la réalité virtuelle. «À Leipzig et Hoffenheim, ils ont déjà des outils qui permettent d’être confronté cognitivement à des contextes de jeu spécifiques, assure Carling. C’est un sujet qu’on ne peut pas ignorer.» De là à imaginer le futur Mbappé s’entraîner à Clairefontaine avec un casque Oculus, comme dans le film Ready Player One ( 2)? On voyage peut-être un peu dans le futur, mais ce n’est pas complètement impossible.
(1) Tous les trois sont docteurs en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives).
(2) Film de science-fiction de Steven Spielberg sorti en 2018, dont l’action se déroule en 2045 avec un héros plongé dans de nouveaux univers via la réalité virtuelle.