Le rugby pour famille
Rugbyman amateur, il est l’un des lauréats des premiers Trophées de l’inclusion par le sport, lancés par le Fondaction « L’Équipe » et l’Agence pour l’éducation par le sport.
Rendez-vous était donné mercredi dernier au Carrefour de Drancy, en Seine-Saint-Denis, où Merwoine Majidi connaît tous les rayons et la plupart des commerçants de la galerie marchande. C’est justement à la pharmacie de l’hypermarché qu’il a décroché son premier job en alternance. «Ici, tout le monde sait ce que ça veut dire de ne plus avoir d’argent dès le 5 du mois, on est tous pareils » , sourit-il. En face, les grandes barres d’immeuble où il a grandi ont été repeintes, mais «à l’intérieur c’est encore tout délabré», poursuit le gaillard de 1,87m pour 106kg.
Dans ce quartier classé prioritaire de l’Avenir, autrement dit sensible, le talonneur a construit sa vie grâce au rugby. Et décroché le premier Trophée de l’inclusion par le sport, créé par le Fondaction L’Équipe et l’Agence pour l’éducation par le sport (APELS), dans la catégorie jeunes. « Ce qui me touche, au-delà du joueur, c’est ce qu’il fait pour les autres, comme ces jeunes filles à qui il fait découvrir le rugby au pied des tours» , explique Laura Di Muzio, internationale du Lille Métropole Rugby Club Villeneuvois (LMRCV), membre du jury qui a eu «un coup de coeur».
Pournepas «rester à la maison ou traîner en bas» , Majidi commence le judo à 4ans avant de découvrir le rugby grâce à sa prof de gym à l’école. «La révélation! Je suis arrivé un samedi, un jour de match, sans licence. Il pleuvait, ils m’ont donné des crampons ; on était en jogging avec mes potes Yoan et Sami, on a joué dans un coin du terrain et on a adoré. Je suis rentré chez moi avec de la boue partout. Depuis, je suis toujours revenu» , raconte le joueur de 26ans, qui vit aujourd’hui à Saint-Ouen, toujours en Seine-SaintDenis. Situé entre l’hypermarché et les anciennes voies ferrées d’où partaient les trains de la mort à destination d’Auschwitz, le Rugby Club de Drancy reste son «port d’attache» . Le secrétaire général, Hubert Besse, également ancien président de l’école de rugby, «me connaît mieux que mon père et mamère» , explique Majidi en l’embrassant.
Son père marocain a quitté le foyer quand il était très jeune, sa mère algérienne est tombée malade quand il avait 10 ans et sa grande soeur a quitté la maison à sa majorité quand il en avait 11. «J’ai été suivi par le rugby, c’est comme mes parents», confirme-t-il. « Merwoine, je l’ai vu arriver. Il était un peu pataud, mais il a appris à ne jamais reculer. Comme dans la vie, devant les difficultés, il faut avancer », confie son premier entraîneur Latamine Bertache, ravi de le voir le jour des enfants. «C’est quelqu’un de bien. Il a réussi sa vie, il est ouvert aux autres et ce n’est pas un délinquant. Ici, il faut se débrouiller par ses propres moyens, c’est obligatoire si tu veux t’en sortir » , poursuit le quinquagénaire qui entraîne désormais son neveu.
Après toute une scolarité en section sportive, Majidi rêve de devenir pro et passe des sélections avec notamment Cameron Woki, le troisième-ligne de Bordeaux-Bègles originaire de Bobigny, avec qui il échange encore aujourd’hui. Il aurait pu partir jouer à Narbonne (Pro D2), où, encouragé par son entraîneur, il avait réussi les tests. «Au final, je suis resté ici car je ne me voyais pas partir, déménager, quitter mon club. Il y avait la peur d’aller voir ailleurs… J’ai fait ma première année seniors le lendemain de mes 18 ans à Drancy. Quand tu es gamin d’un club, ta consécration ultime, c’est de jouer avec les grands, pas de passer à la télé…» , rigole-t-il, avant d’ajouter qu’il avait aussi envisagé d’être journaliste. «Je voulais être la Cécile Grès du bord du terrain» , se marre-t-il. Des entraînements le jour, des camions à décharger la nuit pour gagner de quoi payer le loyer, car sa mère ne travaille pas, un frigo souvent rempli avec les repas d’après-match, et puis la blessure grave au pectoral gauche, sur un plaquage. Le kinésithérapeute et l’ostéopathe du club tentent de le soigner mais «ils travaillaient à l’aveugle, je n’avais pas fait d’examens» , souligne le joueur, qui finit par se faire opérer.
Sa rééducation prend du temps, mais lui ouvre une nouvelle porte. Invité à un barbecue géant avec 200 gamins de Saint-Ouen par un coach du club de
Drancy qui habite la ville, le convalescent rencontre Al Mendes, éducateur de l’APELS. «On passe la soirée à discuter et, très vite, il me rappelle pour faire une sortie à la campagne avec les gamins d’une association. Je prends un minibus du club de Drancy et, au final, je passe tout l’été avec eux» , rembobine Majidi.
À la rentrée, épaulé par son club, il intègre la première promotion du dispositif Déclic de l’APELS, en 2019, qui consiste à trouver un travail aux jeunes sportifs issus des quartiers réputés difficiles. Lui choisit la banque et est embauché dans une agence francilienne du Crédit Agricole où il reste deux ans, jusqu’en août2021. «Au début, pour être honnête, ça m’a plu d’être au contact des gens. Mais leur vendre des produits dont ils n’ont pas besoin en devenant chargé de clientèle, ce n’est pas pour moi. Je suis fait pour aider les autres» , avoue-t-il.
Aujourd’hui son métier est «de trouver un métier à des jeunes» chez Win, une école de management du sport à Paris. Il intervient aussi fréquemment pour l’APELS lors de colloques ou de rendez-vous avec des institutions. «Bénévolement, hein, si j’étais payé je serais Elon Musk ( patron de Tesla) » , plaisante-t-il. Et le soir, il entraîne la section féminine du Red Star Olympique Rugby, avec Lucas Melnotte, après avoir coaché celle d’un petit club de La Courneuve créé par deux de ses copains de Drancy. «Les nanas, ce sont des soldats! Je n’ai que des débutantes âgées de 14 à 50ans, aucune ne finira pro. Autant elles peuvent passer du temps au bar, mais sur le terrain, elles vont tout donner et elles écoutent» , décryptet-il. C’est avec l’une de ses joueuses qu’il est venu dimanche dernier à la journée olympique, aux abords du Stade de France, pour rencontrer AnneCécile Ciofani, médaillée d’argent de rugby à 7 aux Jeux de Tokyo. Il précise avoir grandi avec des femmes. Sa mère vit aujourd’hui dans une petite maison de l’autre côté de la ville, plus résidentiel, et sa soeur, institutrice, est devenue directrice d’école.
“Quand tu es gamin d’un club, ta consécration ultime, c’est de jouer avec les grands, pas de passer à la télé… MERWO'INE' MAJIDI