L'étiquette

WILL WELCH

PAR GINO DELMAS

- PROPOS RECUEILLIS PAR GINO DELMAS

Pour mieux parler de son style, le patron de GQ Monde

parle de musique.

Patron du magazine « GQ » aux États-Unis, également en charge de la supervisio­n de toutes les éditions mondiales du magazine, Will Welch a construit son style autour de la musique. De la country à Kanye West, en passant par le Grateful Dead et les Strokes, il raconte ici un parcours fait de hauts, et de quelques bas aussi.

L’ÉTIQUETTE. Quels sont vos premiers souvenirs liés au vêtement ?

WILL WELCH. Les premiers souvenirs sont liés à mon père. Dans les états du Sud, les hommes ont toujours un truc assez flamboyant, et lui avait ça. L’été, comme il faisait très chaud, il portait des costumes en seersucker coloré, des tissus légers, des noeuds papillons, des mocassins. Il y avait beaucoup de Ralph Lauren dans sa garde-robe, bien sûr. C’était classique mais avec un certain panache, assez décomplexé. Lorsque j’avais 10 ans, je me rappelle qu’il m’a emmené acheter mon premier blazer marine à boutons dorés chez un tailleur en bas de notre rue. Je revois le gars avec une moustache, tiré à quatre épingles, un mètre autour du cou, qui prenait mes mesures. Les gosses de ma génération sont les derniers à avoir expériment­é ce genre de trucs. Au quotidien, je portais des jeans Levi’s, des chinos Abercrombi­e, des polos rugby Ralph Lauren… Il y avait aussi cette paire de Duck boots L.L. Bean que je portais tout l’hiver. C’était la base de mon style, et en fonction des occasions, il évoluait légèrement. Pour aller à l’église, je mettais une chemise oxford, une cravate club, un chino de la marque Duckhead et des chaussures bateau Sebago. Je me souviens aussi des parties de chasse avec mon père. J’ai grandi en ville, à Atlanta, mais dans le sud de la Géorgie, c’est très courant d’aller chasser le week-end, et pour l’occasion mon père me prêtait toujours son gilet à poches. Et puis il y a eu le basket. Je suis né en 1981, et j’ai grandi avec les Air Jordan, les Nike Barkley, les Pump… C’était la naissance de ce qui allait devenir ensuite la sneaker culture.

É. Vous aviez quelle paire ?

W.W. Des Jordan V noires. Ce qui reste sans doute le truc le plus remarquabl­e de ma vie d’ado.

É. Quand la musique est-elle arrivée dans votre vie ?

W.W. J’ai commencé à m’intéresser à la country en sixième. Ce n’était vraiment pas commun au collège. J’étais fan de Dwight Yoakam, un chanteur assez tradi, et de Garth Brooks, qui était plus mainstream. J’avais cette chemise rodéo, réplique d’une chemise que Brooks portait souvent. Je me suis aussi acheté un jeans blanc et des bottes de cowboy. Je me suis arrêté juste avant le chapeau « 10-gallon » (ndlr : il s’agit du chapeau traditionn­el des cowboys. Le mystérieux terme « 10-gallon » fait l’objet de nombreuses théories, mais nous aimons en particulie­r celle qui affirme qu’il s’agirait d’un dérivé de « tan galan », signifiant « tellement beau » en espagnol) mais cela n’empêchait pas les élèves de bien se foutre de ma gueule. Ceci dit, j’étais prêt à assumer. Au fond, je crois même que j’aimais assez ça. C'était ma façon de m’affirmer.

É. Combien de temps a duré cette période country ?

W.W. Elle a duré jusqu’à mes 14 ans, et à ma découverte d’Outkast. Ça a tout changé pour moi. Ces deux gars venaient d’Atlanta, ils rappaient dans les rues où j’avais grandi, sur la ligne de bus que je prenais tous les jours... Avant Outkast, le hip-hop était soit de New York soit de L.A., et là tout d’un coup, des rappeurs parlaient de mon monde. En plus, Big Boi et André 3000 avaient un style incroyable. Je les ai interviewé­s une fois, ils m’ont raconté qu’ils s’habillaien­t preppy pour aller au lycée, à Tri Cities, dans un coin populaire de la ville. André m’a raconté un truc fou. Il se pointait en cours avec une raquette de tennis juste pour le style. Je n’essayais pas de m’habiller comme eux. Heureuseme­nt, d’ailleurs. Mais ils m’ont énormément influencé, dans ma façon de porter mes jeans, ou de mettre ma casquette des Braves d’Atlanta. On voyait que j’écoutais du hip-hop et que j’étais un gamin d’Atlanta.

É. Que vous avez fini par quitter pour rallier New York.

W.W. En 1999, à 18 ans, j’ai déménagé à New York pour aller à la fac de Columbia. Franchemen­t, je crois que c’était une période horrible pour le style, aux États-Unis. En tout cas le mien n’était pas bon. Ça se résumait, grosso modo, à des jeans baggy, des t-shirts et quelques fringues vintage sans intérêt achetées à Value Village, une fripe d’Atlanta. Heureuseme­nt, j’ai été emporté par une nouvelle vague musicale, le de retour du rock avec The Strokes, The White Stripes, The Hives... Je suis parti étudier à Londres pendant trois mois et j’allais à trois concerts par semaine, j’étais à fond dans cette scène, musicaleme­nt et stylistiqu­ement. Avec tous ces groupes, notamment les Strokes et leur leader Julian Casablanca­s, on a compris que le costume pouvait être cool, jeune. Veste étriquée, pantalon court, serré, Converse, le tout défoncé, c’était l’uniforme. Je me souviens aussi m’être acheté un blouson en cuir cintré dans une boutique vintage de Bricklane pour 12 livres. Je le portais avec une cravate fine. Pour un ancien fan de country et hip-hop, c’était une folie.

É. Et puis il y a le Grateful Dead.

W.W. Ça remonte à beaucoup plus loin. En cinquième, je passais beaucoup de temps chez mon meilleur pote, Ben, et son père était ce qu’on appelle un « Deadhead », un fan hardcore du groupe depuis les années 1970. Le Grateful Dead tournait en boucle dans la maison. C’est comme ça que je me suis familiaris­é avec leur musique. J’ai cru comprendre que maintenant c’était devenu cool de les aimer, de façon un peu ironique, mais je peux vous dire que le Grateful Dead n’a vraiment jamais été un groupe cool. Pendant longtemps, c’était peutêtre même le groupe le moins cool du monde. Mais il avait sa propre esthétique, son langage, son iconograph­ie qui pouvait mêler des images de squelettes, des photos d’ours, des références égyptienne­s. Quand tu aimes le Grateful, l’esthétique est aussi importante que la musique. Le merchandis­ing autour du groupe est incroyable. Il y a toutes les pièces officielle­s, notamment les centaines de t-shirts, mais il y a aussi les choses que les fans produisent eux-mêmes, pour les vendre sur les parkings autour des concerts… J’ai commencé à collection­ner le merchandis­ing Dead il y a des années, en achetant sur eBay, et depuis je n’ai jamais arrêté.

É. Vous avez le virus du collection­neur ?

W.W. Je pense que ça vient de mon père, qui était passionné par l’univers cowboy de la fin du XIXe siècle. Chez mes parents, j’ai grandi avec une pièce au sous-sol qui ressemblai­t à un musée du cowboy… Je collection­ne aussi tout le merchandis­ing produit par Kanye West depuis des années. Pour moi, il y a lui et le Grateful Dead. Ce sont les deux musiciens qui ont compris que le merchandis­ing musical pouvait être un grand support de création.

É. Est-ce que travailler pour le GQ US a fait évoluer votre style ?

W.W. J’ai commencé chez GQ US à la fin des années 2000, après avoir beaucoup écrit pour le magazine musical Fader. On était en plein boom des blogs menswear, il était beaucoup question d’Americana et de workwear. Puis, d’un coup, tout le monde a redécouver­t le tailoring. Mon boulot c’était d’observer tout ça, de décrypter, de raconter. Comme j’écrivais sur le style tous les jours, j’ai eu envie de simplifier ma garde-robe en ne portant que du noir de la tête aux pieds. Un uniforme a pris forme : une trucker jacket de Levi’s, une paire de 511 et des bottines noires pour tous les jours, costume noir, cravate noire, chemise blanche pour les grandes occasions. Ça me permettait d’écrire sur le style sans réfléchir au mien. Ça a duré des années, avant que je n’assoupliss­e un peu tout ça… Aujourd’hui, ma garde-robe se résume à une poignée de marques. Je porte du RTH, une marque de Los Angeles qui redonne vie à des jeans ou à de vieux pantalons militaires. J’aime bien Evan Kinori à San Francisco, et Sid Mashburn, à Atlanta. Mes costumes viennent de là-bas et je porte leurs bottines playboy, des Chukka avec semelle en gomme. Et puis bien sûr il y a Ralph Lauren. Je fais surtout du shopping quand je voyage. Mes lunettes viennent de Maison Bonnet à Paris, et j’ai quelques costumes sur mesure de chez Eral55 à Milan.

É. Quelle est votre pièce fétiche ?

W.W. Je pense que ça reste mes trucker jackets noires. J’en ai toujours quatre en rotation. De la plus défoncée à la toute neuve. Les poches me permettent de ranger toutes les merdes dont je ne peux pas me séparer, porte-monnaie, clés, téléphone, appareil photo point and shoot, pellicules de rechange… Mais je me découvre toujours de nouvelles obsessions vestimenta­ires.

Les pièces en nylon de chez Prada m’attirent énormément en ce moment. C’est mon côté noir, technique. Mais d’un autre côté, je rêve aussi d’aller faire un costume chez Anderson & Sheppard à Londres. Le styliste George Cortina, qui a ses habitudes là-bas, m’a promis de m’y amener quand on pourra à nouveau voyager. J'ai hâte.

É. C’est important d’être bien habillé ?

W.W. C’est important d’être bien dans ce qu’on porte. D’ailleurs, si je ne suis pas bien, je rentre à la maison me changer. Ça m’arrive encore de temps en temps…

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De gauche à droite, de haut en bas : une Rolex Datejust Wimbledon de 2018, offerte par des amis, et un mystérieux tatouage ; deux vieilles casquettes de baseball New Era des Braves d’Atlanta posées sur une écharpe tartan ; un t-shirt officiel « Dead Set » du Grateful Dead des années 1990 ; deux peignes Buly ; un costume Gucci avec une rose « Flower of Life » du Grateful Dead épinglée sur le revers ; un bouquin sur Gaudí avec une couverture de Joan Miró ; des mocassins à mors Gucci ; des chemises Cactus Plant Flea Market, RTH, Bode, RRL, Evan Kinori et Sid Mashburn ; une peinture de Danny Fox intitulée Le Cauchemar.
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(2) Will porte une veste Prada, un hoodie Evan Konori, un pantalon Bottega Veneta et des Nike ACG. Il est assis sur un tabouret Senofu de Côte d'Ivoire. Derrière lui, un fauteuil des années 1950 retapissé chez Denmark, à Los Angeles, et le tableau Dark Star de Wes Lang.
(1) Un t-shirt non officiel du Grateful Dead de la fin des années 1980. (2) Will porte une veste Prada, un hoodie Evan Konori, un pantalon Bottega Veneta et des Nike ACG. Il est assis sur un tabouret Senofu de Côte d'Ivoire. Derrière lui, un fauteuil des années 1950 retapissé chez Denmark, à Los Angeles, et le tableau Dark Star de Wes Lang.

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