L'étiquette

ÉTIENNE DAHO UNE VIE ÉLÉGANTE

On le prétend dandy, lui se dit simplement fidèle à ses vêtements. Ici, le chanteur fouille dans ses souvenirs pour raconter les styles de sa vie.

- Propos recueillis par marc beaugé et gino delmas

Il porte un cuir et un pull marin. Du noir et du bleu. Du Celine par Hedi Slimane et du Saint James. Il est très « Étienne Daho », cet après midi-là. « J’ai juste fait un petit effort en choisissan­t le blouson, car je savais que je vous voyais, sourit-il. Mais c’est vrai que je suis toujours un peu comme ça. » Depuis ses débuts, à la fin des années 1970, Étienne Daho s’habille comme il créé sa musique. Avec précision et constance, sans opportunis­me ni posture. C’est ainsi qu’il a bâti une carrière sans compromiss­ion et une vie sans véritable casserole vestimenta­ire. Sur ses photos reviennent souvent les mêmes pièces. Les costumes noirs de scène. Les cuirs, les cabans et les marinières. Chiant ? Rien à voir. Car chacun de ces vêtements raconte une histoire.

L’ÉTIQUETTE. Vous souvenez-vous comment vous étiez habillé pour votre toute première scène, en 1978 ?

ÉTIENNE DAHO. C’est très loin, mais j’ai encore les images en tête. Je m’étais fait prêter des vêtements par un petit magasin, à Rennes. Il y avait un pantalon à pinces noir et un blouson bleu métallisé. En-dessous, j’avais mis une bolo tie sur une chemise de cowboy. Je mettais beaucoup de chemises de cowboy, à l’époque. J’adorais ça.

É. Il y avait une démarche stylistiqu­e derrière cette tenue ?

É.D. Pas vraiment. En fait, je me disais surtout : « Au moins, si je suis nul et que je ne remonte jamais sur scène, j’aurais été bien habillé pour mon seul concert, les photos seront bien pour l’éternité… » C’était ma seule ambition. Mais, heureuseme­nt, ça ne s’est pas arrêté là (rires). Dans la foulée, il y a eu le premier vrai concert. Là, je crois que j’avais acheté un costume chez un fripier. Un costume fifties un peu flottant que je portais avec une marinière.

É. C’était important d’avoir du style pour se faire remarquer en tant que jeune musicien ? É.D. Ça comptait beaucoup. À Rennes, on était toute une petite scène de musiciens, des rockeurs, il y avait une vraie émulation entre nous. Et la constructi­on de l’identité passait

« POUR FAIRE PARTIE DU GROUPE, IL FALLAIT SE DÉFONCER BEAUCOUP, BAISER BEAUCOUP, ET PUIS S’HABILLER. DANS CET ORDRE »

par le vêtement, forcément. En fait, il y avait le sexe, la drogue et les vêtements. Dans cet ordre, je dirais. Pour faire partie du groupe, il fallait se défoncer beaucoup, baiser beaucoup, et puis s’habiller. Concrèteme­nt, moi, c’est une période pendant laquelle je n’avais pas vraiment d’endroits pour vivre, du coup je portais toutes mes fringues sur moi. J’étais un peu maigrichon, ça m’arrangeait bien. J’avais l’air plus épais. Parfois, c’était t-shirt, pull, blouson, veste, imperméabl­e, tout ça en même temps… Avec un jeans en bas et une paire de chaussures, souvent en veau velours blanc, d’ailleurs.

É. Il paraît qu’à cette époque, Elli Medeiros était votre styliste.

É.D. Elle m’aidait beaucoup, en tout cas. Je l’ai rencontrée à Rennes, elle jouait avec Jacno, elle avait un style incroyable doublé d’une grande culture du vêtement. Elle me disait : « Ah non, ça tu ne peux pas le mettre » (rires). Je me souviens qu’elle m’avait offert un blouson rouge en toile, il ressemblai­t à celui de James Dean. C’était le sien, il était magnifique sur elle, elle me l’a donné et je l’ai porté été comme hiver pendant plusieurs années. Je l’ai offert ensuite à une de mes musicienne­s. Des années plus tard, j’ai voulu le récupérer, mais elle l’avait usé jusqu’à la corde et jeté. J’étais un peu triste… Elli a façonné la manière dont je me suis présenté au monde à mes débuts. Elle savait tout du bon goût. Je crois que c’était inné, pour elle, c’est une artiste jusqu’au bout des ongles. J’avais une confiance absolue en son goût. J’avais besoin de quelqu’un pour me former, elle a été cette personne. É. Enfant, vous n’aviez pas été formé à l’élégance ? É.D. Je suis né à Oran, j’ai passé mes premières années là-bas. Mon père est parti très tôt, quand j’avais quatre ans. Je n’ai pas vraiment de souvenirs de lui, je revois juste une silhouette militaire, en treillis, car il était soldat. J’ai grandi avec ma mère et mes quatre soeurs, qui étaient, elles, très élégantes et soucieuses de leur apparence. Elles aimaient ça, tout était au cordeau. Quand la guerre est arrivée à Oran, on a déménagé chez mes grands-parents à Cap Falcon, dans une station balnéaire. Même pour aller à la plage, on s’habillait. C’était une chose très normale pour nous, comme une forme de politesse, et de culture aussi. On s’habillait correcteme­nt, et on écoutait de la bonne musique. J’adorais déjà Françoise Hardy, c’était vraiment ma préférée, ça l’est resté d’ailleurs. Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, les yéyés… j’aimais beaucoup aussi. Je les écoutais à la radio ou dans le jukebox.

É. Que portez-vous à cette époque ?

É.D. Je me souviens d’un jeans que je portais sur de nombreuses photos quand j’étais enfant. J’avais envie qu’il soit bien propre, net, très bleu. C’est encore le cas aujourd’hui. Je n’aime pas les jeans délavés.

É. Vous arrivez en France quelques années plus tard.

É.D. J’arrive en 1964, j’ai 8 ans et je débarque à Reims, avec ma tante. On quitte la guerre. On a vécu des choses très dures. On enjambait des cadavres. Dans les voitures il fallait s’allonger, passer sous les fenêtres pour ne pas prendre

une balle. Donc quand j’arrive à Reims, je suis surtout soulagé de fuir la guerre. Mais bien sûr, ce n’est pas évident. La températur­e, la culture, le cadre… Ça n’a rien à voir. Ma mère n’est pas encore avec nous, elle me manque. À l’école, je me mettais la pression. Je me disais que la seule façon de me faire respecter c’était d’être le meilleur élève de la classe. Mais j’étais le plus souvent troisième, malgré tous mes efforts. C’était très frustrant. Je me souviens avoir eu une mauvaise note un jour, ou peut-être un mot dans le carnet. Pour me punir, mon oncle m’a rasé la tête, à la tondeuse. Partiellem­ent, en plus, avec des trous partout. J’ai dû aller comme ça à l’école. C’était une honte phénoménal­e. Je ne voulais pas enlever ma capuche.

É. Vous sentiez un décalage stylistiqu­e avec vos camarades ?

É.D. Curieuseme­nt, pas trop. En fait, j’ai atterri chez les jésuites, je me souviens encore de la blouse grise. Donc à ce niveau, c’était très cadré, tout le monde était habillé de la même façon. Et puis très vite, quand ma mère est arrivée en France, on a déménagé vers Rennes. C’est là que j’ai commencé à porter des vêtements bretons classiques. J’avais toute la panoplie. Le pantalon marin en feutre, très désagréabl­e à porter, parce qu’il grattait. Le pull marin. Le caban. C’était ça, l’uniforme du collégien breton, et c’est vraiment ce que j’avais majoritair­ement dans ma garde-robe. Parce que ce sont des pièces qui durent très longtemps. Je les usais jusqu’à la corde.

É. C’est pour cela que dessiner des pièces pour Saint James, comme vous venez de le faire, avait du sens ?

É.D. Oui, quand ils m’ont proposé d’imaginer une collection, je n’ai pas hésité. Je me suis inspiré de toutes ces pièces que je porte depuis l’enfance : des cabans, des pulls marins, des marinières, un pantalon.

É. Comment réinventer de telles icônes ?

É.D. On ne peut pas réinventer, c’est déjà tellement abouti… Mais on peut adapter un peu, en termes de coupe notamment. Le caban, je l’ai raccourci et je l’ai cintré. Le pull marin, je le trouvais trop fermé. C’est normal, c’est un vêtement qui doit protéger du froid. Mais j’avais envie de baisser le col et de l’ouvrir, aussi. Je l’ai raccourci un peu, également. Finalement je le trouve plus confortabl­e, j’ai hâte de le porter tous les jours.

É. Dans la tête des gens, vous êtes très associé à la marinière…

É.D. J’en ai porté toute ma vie. Petit déjà, à Rennes, on les changeait uniquement quand elles étaient devenues trop petites ou trop abîmées. J’ai eu des dizaines de marinières au fil du temps, je pense. Mais c’est la pochette de La notte, la notte qui a gravé ce lien dans la tête des gens. L’histoire est assez drôle, d’ailleurs. C’est le duo de photograph­es Pierre et Gilles qui shootait cette pochette. Moi, j’étais obsédé par l’univers très rock sixties de Ricky Nelson, j’avais préparé plein de choses dans cette direction-là, des costumes, des chemises… On a essayé pas mal de looks ce jour là, mais à un moment ils m’ont dit : « Enfile

 ?? ?? En 1981, en t-shirt blanc, avec Elli Medeiros, à Paris. (Photo Pierre René-worms)
En 1981, en t-shirt blanc, avec Elli Medeiros, à Paris. (Photo Pierre René-worms)
 ?? ?? En 1989, en veste trucker, à Londres. (Photo Garcia)
En 1989, en veste trucker, à Londres. (Photo Garcia)
 ?? ?? En 1984, en marinière, sur la pochette de La notte, la notte. (Photo Pierre et Gilles)
En 1984, en marinière, sur la pochette de La notte, la notte. (Photo Pierre et Gilles)

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