L'étiquette

PIERRE FOURNIER

MONUMENT PARISIEN

- Par marc beaugé et grégoire belhoste

Son nom ne vous dit rien ? Normal. C’est dans l’ombre, au fil des décennies et de ses boutiques successive­s, qu’il est devenu un mythe, et une référence absolue en matière de style… Pierre Fournier, l’homme qui a tout vu, tout porté et tout vendu, raconte ici les secrets d’une vie dédiée au vêtement. Notre conseil : prenez des notes.

Il invite à le suivre. On pousse un petit portillon en bois puis on descend quelques marches. « Personne ne vient jamais là, vous avez de la chance », dit Pierre Fournier. Nous voilà dans une grande cave voûtée, plafond bas, murs à la chaux. Partout autour de nous, des boîtes et encore des boîtes, toutes vertes, barrées, en lettres d’or d’un nom qui résonne. « Il y a près de mille paires d’alden en stock ici. » Plus loin, il y a aussi des racks de vêtements sous housse. On devine des cabans, des imperméabl­es, et de longs manteaux en laine ou en tweed. À travers le plastique, on distingue des velours épais, noir, marron, écru, jaune, vert. Sur les étagères trainent aussi des prototypes, des morceaux de tissus et de vieilles publicités jaunies par le temps. Dans un coin, Pierre Fournier s’est assis derrière un bureau en bois. Il tire un tabouret pour nous. « Bon, j’ai préparé les photos, tout est trié par période. Mais vous êtes vraiment sûr d’avoir envie que je vous raconte tout ça ? »

Pourquoi, en effet, écouter l’histoire de cet homme de 79 ans, installé dans une boutique d’une petite rue du IVE arrondisse­ment de Paris, vêtu ce jour-là d’une veste M-43 de l’armée américaine, d’un pantalon kaki en cavalry twill et d’une paire d’alden à boucle, en cordovan, couleur 8, la tête couverte d’une casquette plate de couleur greige ?Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Tout simplement parce que Pierre Fournier a consacré toute sa vie au vêtement. Soixanteci­nq ans qu’il chine, porte, vend, dessine. Qu’il pense les vêtements. «Je dirais plutôt que je les lis ». C’est ainsi qu’il est devenu une référence et une institutio­n en matière de vêtement masculin. La règle est simple : si Pierre Fournier porte un vêtement, ou le vend, c’est que, dans le genre, il n’y a pas mieux, ici ou ailleurs.

UN PETIT SOURIRE EN COIN

Naturellem­ent, ses boutiques, de Globe à Anatomica en passant par Hémisphère, se sont toutes transformé­es, au fil du temps, en lieu de culte pour les désespérés du vêtement. Chez Anatomica, rue du Bourg-tibourg, à Paris, ils se succèdent ainsi dans la boutique, à la recherche d’un cardigan en alpaga, d’un jeans sans couture extérieure, d’une veste en moleskine, d’un pantalon à taille haute ou bien d’une paire de chaussures américaine­s. À chaque fois, Pierre s’active. Il explique, décrypte, tire sur la taille d’un pantalon, marque l’ourlet à sa façon, avec un soin infini et une agrafeuse. « Mais pourquoi tout le monde porte ses pantalons si courts, en ce moment ? », demande-t-il sans attendre la moindre réponse en retour, si ce n’est une approbatio­n. Sous l’oeil amusé de Charles, son jeune associé, Pierre Fournier aime aussi distiller ses conseils. « Ne vous regardez pas si près du miroir, ça n’a aucun sens », lance-t-il souvent. « Ça, ça ne vous va pas, je ne vais pas vous dire que ça vous va juste pour que vous achetiez… », répète-t-il régulièrem­ent, la voix franche, un petit sourire en coin quand même.

Quand un client vient pour sa première paire d’alden, Pierre Fournier sort le grand jeu. En l’occurrence, un brannock, hostile outil métallique permettant de mesurer longueur et largeur du pied. Le rituel peut commencer. Pierre se met à genoux, fait coulisser les cales, puis prend le temps de la réflexion avant de lancer une pointure à laquelle nous n’avions jamais songée tant elle apparaît grande, et loin de celles dont nous avons l’habitude. Quand le client s’étonne, Pierre insiste un peu. « C’est votre vraie pointure, evidemment on ne pourrait pas vous dire ça ailleurs… » Pour expliquer les particular­ités des modèles qu’il vend, montés sur une forme trés ancienne appelée « modified last » tant elle fut modifiée au fil du temps pour viser au chaussant parfait, Pierre Fournier se lance alors généraleme­nt dans un cours d’anatomie, schéma à l’appui s’il le faut. Cela peut durer 30 minutes, parfois plus. «Pour certains clients, c’est beaucoup trop. Pour d’autres, ça passe tout seul…» Pour ceux-là, il faudra ensuite chercher dans les registres en papier pour savoir quel modèle est disponible pour eux dans la réserve. Avec un peu de chance, l’affaire finira par être conclue. « Et si tout va bien, il sera client pour toujours… », espère Pierre Fournier.

«IL FAUT COMMENCER PAR SE TROMPER…»

«Je suis né à Paris, mais je grandis en Haute Savoie, d'abord à Annemasse, puis à Annecy. Très tôt, je suis obsédé par les vêtements. À 12 ans, je fais déjà quelques extravagan­ces. Il m'arrive, par exemple, de sortir en kimono japonais dans les cités du quartier, au milieu des rockeurs en cuir. Mais c'est à l'adolescenc­e que ça devient un peu sérieux. Je commence à acheter beaucoup, et à me tromper beaucoup. Des Burberry's trop petits, des jeans trop serrés… On pense toujours que ça va aller, mais non. Trop petit, c'est l'erreur universell­e, persone n'y échappe. Quand ils achètent une casquette, les gens veulent la sentir, ils ont sans doute peur qu'elles s'envolent avec un coup de vent. Du coup, ils choisissen­t la casquette qui leur laisse une marque rouge sur le front. Alors que, justement, les casquettes ça rétrécit, il doit y avoir un doigt d'aisance au moment de l'achat. Mais moi aussi, j'ai mis du temps à le comprendre. Pour mieux s'habiller, il faut commencer par se tromper. Heureuseme­nt, j'ai commencé tôt.»

«C’EST DE LA LITTÉRATUR­E, JE LIS LES VÊTEMENTS»

«Je remonte à Paris à la sortie de l'adolescenc­e, sans travail ni argent. Je rêve d'être acteur, je tourne même dans quelques courts et un moyen-métrage, mais je finis par atterrir à Jouy-en-josas, chez HEC. Membre du personnel de service. Mes samedis et dimanches libres, je les passe aux Puces, à Saint-ouen. Là-bas, il faut creuser des galeries dans des tas de vêtements pour trouver des trésors. Et on en trouve. Je me souviens de chemises hawaïennes, des vraies, en rayonne des années 1950, magnifique­s, même si, personnell­ement, j'ai toujours eu un faible pour les hawaïennes surf sixties, en coton texturé… Dans ma loge, très vite, il y a un mètre de fripes au sol. C'est comme de la littératur­e, je lis les vêtements. Je n'ai pas beaucoup d'argent, alors je me mets à vendre un peu, aux élèves D'HEC puis dans des bars. Finalement j'atterris dans une boutique qui s'appelle Pendora Deluxe, aux Halles. Je loue un quart de l'espace. Je ramène mes plus belles pièces, je les accroche, et généraleme­nt, dans les 24 heures, quelqu'un de chez Saint Laurent, par exemple, passe et les embarque. Ça dure trois ou quatre ans comme ça. Mais je sens que le stock de vêtements commence à s'épuiser… À partir de 1973, j'ai beau fouiller, je ne trouve plus grand-chose aux Puces. Je comprends qu'il faut s'y prendre autrement.»

«CE QUI SE FAIT DE MIEUX»

«La première vraie boutique, c'est Globe, rue Pierre-lescot, à Châtelet aussi. On est installé dans une poissonner­ie en gros des années 1930. Au sol, un damier noir et beige, un échiquier geant en carrelage. Mon associé décide de tout laquer en gris, couleur navire de guerre. C'est sublime, mais comme on fait ça en 48 heures, la peinture se décompose trois ans après… Ce qui est important de toute façon, c'est ce qu'on vend. On va en Angleterre chercher des duffle-coats des années 1940, des saharienne­s, des pulls de l'armée, des t-shirts cellular (le cellular est un coton respirant développé par Sunspel en 1941, ndlr). C'est du vintage, mais ce sont des séries deadstock, donc on a du stock et des tailles. Je cherche ce qui se fait de mieux. Et parfois je trouve. Au milieu des années 1970, Levi's est en plein délire hippie. Ils bazardent tous leurs jeans étroits et leurs Sta-prest en Afrique du Nord et en Europe. Ici, on en trouve même sur les marchés. Sans raison, c'est très dévalorisé. Nous, on ramasse tout. Chaque mois, chez Globe, on vend plusieurs centaines de 501 neufs. Malheureus­ement, ce ne sont plus des Big E, on est juste après, mais c'est du selvedge, et tout est made in USA, bien sûr. Quelque temps plus tard, Levi's commencera à délocalise­r sa production, en montant son usine européenne en Belgique. Mais un Levi's made in Belgium, c'est comme un camembert californie­n: personne n'en veut. Ils mettront quinze ans avant de comprendre cette aberration, et de tenter des rééditions vintage made in USA…»

«JE DIS ”OUI” DANS LA SECONDE…»

«Comme on fait les choses par passion plus que par raison, on est à découvert la moitié du temps. Mon associé finit par se lasser. Crise de la quarantain­e, il veut que Globe devienne une boutique de skate. Je n'ai absolument pas envie de ça… Dans le même temps, j'ai repéré une boutique, avenue de la Grande-armée. C'est une splendeur, dessinée au début des années 1930 par un architecte anglais. Elle est tout en acajou verni au tampon, avec de magnifique­s comptoirs, des vitrines à miroirs montées sur roulement à billes au sol, des cabines d'essayage grandes comme des salons… L'endroit s'appelle Ragueneau et Compagnie. Le patron, c'est un monsieur de 90 ans qui tient boutique depuis les années 1920. En vitrine, il a des rogatons des années 1970, du Cardin, ce genre… Mais caché dans ses tiroirs, derrière le comptoir, il a des stocks des années 1910, 20, 30. Je vais chiner chez lui, de temps en temps. Je me souviens des masques d'automobili­stes en cuir, avec lunettes montées. Je les achète et je les revends à Coluche. Mais sa boutique est presque déserte. Il y a tellement peu de passage que le patron est assis derrière sa petite caisse, lumière éteintes. Quand un client arrive, il se lève pour allumer. Je me dis que ce serait extraordin­aire de s'installer ici. Et ça finit par arriver. Le directeur général d'yves Saint Laurent, Jean-sébastien Swarc – un client de chez Globe devenu un ami – m'apprend que la boutique est à vendre. Il propose qu'on s'associe et me donne 48 heures pour décider. Je n'ai pas besoin de 48 heures, je dis «oui» dans la seconde. Hémisphère ouvre en 1980.»

«PLUS AMÉRICAIN QUE LES AMÉRICAINS»

«Le succès est immédiat, chez Hémisphère­s. Tout Paris défile. On vend du neuf. La première année, on fait des recherches insensées pour trouver l'un des derniers fabricant de chemises américaine­s, Troy Guild. On importe leurs chemises button down traditionn­elles. On achète également chez Southwick, le fabriquant des costumes Brook Brothers. On leur demande des vestes, des pantalons «tappered» sans plis. Nous faisons des fabricatio­ns spéciales, sur les modèles qu'ils faisaient dans les années 1960. On va aussi à Chicago chez Oxxford Clothes. Le niveau de fabricatio­n est incroyable. Les poches des vestes sont montées sur soufflet intérieur pour que ça ne fasse pas d'épaisseur à l'extérieur quand on met quelque chose dedans. Les boutonnièr­es sont cousues à la main des deux côtés. Vous imaginez ça? C'est insensé pour du prêt-à-porter. On file à Denver aussi, pour trouver quelque chose qu'aucune boutique n'a encore à New York: les parkas Rocky Mountain. Quand on les reçoit, Belmondo nous en achète une directemen­t. Nous sommes plus américains que les Américains. Comme les Japonais aujourd'hui. Mais nous ne sommes pas sectaires. On vend des bottes magnifique­s, faites à Séville par un bottier extroadina­ires. On a beaucoup d'anglais aussi. Des chemises, chez Hashley & Blake. De la maille, avec des maisons comme Mac George, Glenn Mac, Braemer. Du tailleur, avec Chester Barrie. Leur usine est à Crewe, comme Rolls-royce. Chez Burberry's, on prend les imperméabl­es historique­s, dans les plus belles matières. Et puis on a les cardigans en alpagas autrichien­s de Fanni Lemmermaye­r. On propose plein de couleurs, ainsi que les fameux modèles à rayures. Dix-neuf couleurs de rayures sur un même cardigan, on ne peut pas le rater…. Un jour, Jerry Lewis passe devant la boutique en taxi. Sa voiture pile d'un coup, il entre pour s'en acheter trois.»

«CHIRAC SE PREND UNE PAIRE»

«À ce moment, chez Hémispihèr­es, j'ai la nostalgie des tout premiers mocassins Sebago que j'achetais adolescent, à Genève. La forme a beaucoup changé au fil du temps et je rêve de refaire le modèle que je portais à l'époque, dans les années 1960. Je me dis qu'il faut faire quelque chose, j'en parle à mon associé, je le tanne. Lors d'un voyage aux États-unis, on prend un avion quatre places en direction du Maine, pour aller chez Sebago. Le patron nous attend de pied ferme à l'usine. «Vous voulez que je ressorte cette forme-là? Mais pourquoi? Elle est au sous-sol, en caisse… Et les emporte-pièces pour faire le modèle, pareil…» Il ne comprend pas. Mais on insiste, et il finit par nous dire: « D'accord, mais c'est 1500 paires.» On paie. Mais on fait une connerie, on développe le modèle en quatre couleurs: bordeaux, kaki, noir et bleu marine. On n'aurait dû faire que deux couleurs… Mais bon, on arrive à les vendre. Jacques Chirac se prend une paire. Il a un peu étudié aux États-unis (à la Summer School de Harvard, ndlr.), il a la nostalgie 50s US. Il revient quatre ans plus tard pour une nouvelle paire, il n'y a plus rien évidemment. Disparitio­n. Nouvelle disparitio­n. C'est la routine, de voir les belles choses disparaîtr­e.»

«LES PLUS BEAUX VÊTEMENTS DE TRAVAIL»

«Hémisphère finit mal, très mal, pour de sombres histoires de succession­s… Je suis un peu dans la panade. C'est à ce moment-là que j'ai l'idée de lancer Anatomica. Globe et Hémisphère, ce sont des recherches basées sur le meilleur de ce qui ne se fait plus, ici et ailleurs. Anatomica, c'est l'inverse, c'est l'anatomie, le corps, la coupe, le repli sur soi. Ça tombe bien: comme tout le monde est dans le vêtement américain, j'ai envie de faire autre chose. On ouvre en 1995 et tout de suite, notre truc, c'est le vêtement de chez nous, les anciens vêtements de travail français. Parce que je considère que la France a eu les plus beaux vêtements de travail en Europe, les mieux conçus, avec les plus beaux tissus. Les Anglais, ils sont indépassab­les pour l'habillemen­t de ville. Les Américains le sont pour le sportswear. Mais le vêtement de travail, c'était beau chez nous! J'en ai toujours porté et toujours cherché. À Annecy, je cherchais des pantalons de charpentie­r, qui n'existaient déjà plus. À Paris, j'allais acheter dans une boutique qui s'appelait À l'ouvrier, à Stalingrad, dans laquelle on trouvait des choses extraordin­aires. Mais c'est fermé, désormais. Du coup, avec Anatomica, on se met à fabriquer nos propres pièces. On a un patronnier, un ancien de chez Adolphe Lafont, spécialist­e du vêtement de travail. À son décès, l‘excellent Raymond Dulouard devient notre modeliste. Évidemment, tout est made in France.»

«LA MARQUE S’APPELLE NIKE»

«Il faut avoir un peu de flair, c'est ça le truc. On essaie d'être les premiers. On est les premiers sur North Face, par exemple. La qualité est incroyable.

Une année, je pars à New-york tout seul, pour visiter une foire aux chaussures, la National Shoe Fair. Je reste scotché devant un stand trés spectacula­ire, rempli de chaussures de sport de toutes les couleurs, des rouge et argent, des bleus et jaune… On ne peut pas dire que le sport ce soit vraiment mon truc, mais là, quand même… La marque s'appelle Nike. C'est inconnu en Europe. Je prends toutes les références et je rentre à Paris. Les gars de la boutique m'engueulent presque: «Mais pourquoi tu n'as pas acheté?» Bon ok… On passe commande directemen­t et on devient officielle­ment les premiers revendeurs européens de Nike. Carton immédiat. Juste après, on est aussi les premiers à vendre des Vans en Europe. On va directemen­t à l'usine, à Anaheim, en Californie, pour en acheter. On passe commande d'une cinquantai­ne de paires, de différente­s couleurs, différente­s tailles. Mais ces enfoirés nous envoient cinquante paires rouges, dans une seule pointure. Une taille pas très facile en plus, 40 ou 39 et demi… C'est pré-payé, aucune possibilit­é de retour. Donc on met toutes les chaussures dans la vitrine, comme un champ de fleurs. Au milieu, on met une valise Halliburto­n en alu. On les vend toutes comme ça, en un mois. Plus tard, en 1992, on est aussi les premiers détaillant­s français à proposer Birkenstoc­k. Deneuve adore ça, elle en achète régulièrem­ent.»

«CES CHAUSSURES, ELLES CHAUSSENT»

«On s'appelle Anatomica, donc on propose des vêtements qui respecte l'anatomie. Évidemment, on vend des Birkenstoc­k. Mais on vend aussi des chaussures américaine­s. Au salon GDS, à Düsseldorf, je rencontre le président de la marque Alden. Je lui explique notre idée. On veut développer une collection de modèles particulie­rs, montés sur une de leur forme ancienne à vocation orthopédiq­ue – qui s‘appelle «modified last», la forme modifiée – parce qu'elle a été modifiée il y a longtemps. Personne en Europe n'avait construit jusque-là une collection dans cette direction. Aujourd'hui, nous avons plus de cinquante variantes de modèles: cordovan, box, calf, veau velours… Elles ont un aspect assez inhabituel. Elles plaisent ou déplaisent, c'est très subjectif. Mais, une chose est sûre, elles chaussent vraiment. Ce ne sont pas des souliers conçus spécialeme­nt pour pieds sensibles mais pour gens sensibles.

«NE PAS LAISSER PASSER UN BEAU VÊTEMENT»

«Moi, je pars du principe que le marketing, ça n'existe pas. Sir Conran disait: «On ne peut pas savoir ce qui se vend avant de l'avoir proposé à la vente». Voilà. C'est toujours plus simple après. Je considère juste que je suis mon premier client. Je m'habille avec les vêtements que je vends (Il passe en revue les vêtements qu'il porte sur lui). Ça, ça vient d'ici. Ça aussi. Les chaussette­s sont de la boutique. La casquette, aussi. Vous voyez, c'est un combat de faire les choses bien. C'est assez désespéré même. Cette casquette que je porte, là, le fabricant arrête. C'était le meilleur fabricant irlandais, il existait depuis 1924. Pas de succession. Nous, nous continuons. Parce qu'on a encore la passion. Aujourd'hui encore, je ne peux pas laisser passer un beau vêtement quand je le vois. Soit je le prends pour le porter, soit je le prends pour m'inspirer une pièce, soit je le prends juste parce que je ne peux pas le laisser passer. C'est comme ça. J'ai encore des émotions en repensant à des pièces ratées au fil du temps. Je me souviens d'un pantalon de fort des Halles, en lin Villette indigo, début XXE, avec la surpiqure côté blanche, assez ajusté, le bas légèrement évasé. Il était infiniment trop grand, taille 54, ça n'allait pas du tout, mais j'aurais dû l'acheter. Parce qu'on ne laisse pas passer un beau vêtement. C'était aux Puces, il y a vingt ans, mais je n'ai pas oublié. Vous voyez un peu l'ampleur de la névrose…»

«QUATRE BOUTIQUES AU JAPON…»

«Aujourd'hui, il y a la boutique Anatomica de Paris, et il y a quatre boutiques Anatomica au Japon. Comment on est arrivé là-bas? C'est le jeans qui a enclenché nos affaires japonaises. Quand on se met en tête de fabriquer des jeans, on commence par regarder autour de nous. En France, on comprend vite qu'on n'arrivera pas à faire ce qu'on veut, on n'a pas les machines ici. Aux États-unis, c'est compliqué aussi, eux non plus n'ont presque plus rien. En fait, les machines sont au Japon désormais. Nous sommes un peu réticents au début, mais on commence à faire produire nos jeans là-bas On se fait plaisir. On lance même des jeans en denim bordeaux, comme ceux que faisaient Levi's et Lee dans les années 1960. Pas facile à écouler, ceux-là… Au fil du temps, le fabricant japonais de nos jeans devient un proche. Il voit bien qu'on a une certaine cote, et un point de vue. Il nous propose de monter une boutique là-bas. Il achète un building dans l'ancien quartier du commerce, à Tokyo. L'endroit est désert mais très joli, avec une rivière et des bateaux traditionn­els.

C'est la première boutique, puis viendront une deuxième, une troisième puis une autre à Sapporo… On leur envoie ce qu'on fabrique ici en France, et eux nous envoient ce que nous réalisons au Japon. On a le meilleur des deux pays.»

 ?? ?? En 1974, la boutique Globe.
En 1974, la boutique Globe.
 ?? ?? En 1967, sur le campus de HEC, à Jouy-en- Josas.
En 1967, sur le campus de HEC, à Jouy-en- Josas.
 ?? ?? En 1961, à l'âge de 17 ans.
En 1961, à l'âge de 17 ans.
 ?? ?? De haut en bas :
l’équipe d'hemisphère­s, les bottes du Sevillan Lopez Galant et une chemise Hemisphère­s.
De haut en bas : l’équipe d'hemisphère­s, les bottes du Sevillan Lopez Galant et une chemise Hemisphère­s.
 ?? ?? En 1980, la boutique Hemisphère­s, 22 avenue de la Grande Armée.
En 1980, la boutique Hemisphère­s, 22 avenue de la Grande Armée.
 ?? ?? En 1998, dans la boutique Anatomica.
En 1998, dans la boutique Anatomica.
 ?? ?? En 1982, la vitrine de la boutique Hesmisphèr­es.
En 1982, la vitrine de la boutique Hesmisphèr­es.
 ?? ?? En 1981, des Sebago chez Hemisphère­s.
En 1981, des Sebago chez Hemisphère­s.
 ?? ?? En 2011, à la création de la boutique Anatomica à Tokyo.
En 1995, à Biarritz.
En 2011, à la création de la boutique Anatomica à Tokyo. En 1995, à Biarritz.
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En 2004, des Alden modified chez Anatomica.
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