L'Éveil de Lisieux

Rémi Dreyfus a été incorporé dans les paras anglais : «On débarque ? Oui, maintenant...»

D’origine juive, Rémi Dreyfus a servi, sous une fausse identité, dans la prestigieu­se unité des SAS, Special Air Service. Le 6 juin, il s’est posé à Ranville, à bord d’un planeur de la 6e airborne anglaise.

- Frédéric LETERREUX

Né le 6 septembre 1919 à Paris, fils d’un banquier, Remi Dreyfus effectue toute sa scolarité à Paris. Après son baccalauré­at obtenu au lycée Janson-de-Sailly, il entre à HEC, prestigieu­se école de commerce. Il est diplômé quand la guerre éclate en 1939. Il obtient également le brevet supérieur de préparatio­n militaire. Ce qui ne lui sera pas inutile par la suite… D’octobre 1939 à avril 1940, il travaille dans un journal de la Société d’Études et d’Informatio­ns Économique­s, dont les locaux sont situés Boulevard Saint-Germain à Paris.

Mesures antijuives

Le 15 avril 1940, il est mobilisé et affecté au 61e dépôt de cavalerie à Saint-Germain-en-Laye. Élève officier de réserve, il rejoint le Groupement Spécial motorisé de Rambouille­t et suit les cours préparatoi­res à Saumur. Mais en mai, les divisions allemandes déferlent sur la France. La «–Drôle de guerre– » fait place au «– Blitzkrieg– », la guerre éclair… Il arrive à Limoges. Le 16 août, il est transféré au 25e régiment de dragons à Auch. Le 7 septembre 1940, il porte les galons de sergent. Le 24 novembre, il est muté au 11e cuirassier­s à Lyon. Il est démobilisé le 1er septembre 1941. Les mesures anti-juives de Vichy lui interdisen­t de rester dans l’armée et il doit quitter son régiment. La frontière de la zone libre (qui ne le restera pas longtemps) laisse passer la peste brune…

Rémi Dreyfus retrouve son père à Antibes. Mais ce dernier est gravement malade. Il décède le 20 novembre 1941. Rémi Dreyfus est profondéme­nt marqué par la disparitio­n de son père. « Officielle­ment, il est mort d’un cancer, mais en fait, il a été emporté par le chagrin », confiait-il.

Rejoindre l’Angleterre

La décision de Rémi Dreyfus est prise : il veut rejoindre l’Angleterre. Lyon, Toulouse, Marseille, Annemasse, il multiplie les déplacemen­ts pour trouver une filière. Il en trouve finalement une à Toulouse. Elle a déjà aidé son frère à rejoindre Londres. Colette, résistante du réseau Combat, qu’il épousera après la guerre, le met en relation avec des passeurs. Le 4 février 1942, il est à Osseja, dans les Pyrénées-Orientales.

Cinq jours plus tard, il est à Barcelone, au consulat britanniqu­e. Le 16 février, il pose son sac à Madrid. Le 16 avril, il est à Lisbonne, et à Gibraltar le 26 avril. Le 6 mai, il quitte enfin Gibraltar et vogue vers la Grande-Bretagne où il arrive le 13 mai 1942 au port de Greenock. Pendant son voyage, sur le navire, il utilise deux pseudos : Rémy Lacoste et Roland Young. Sous un autre pseudonyme, Daniel Plowright, Rémi Dreyfus signe son acte d’engagement dans les Forces Françaises Libres le 5 juin 1942, avec un effet rétroactif au 4 février 1942. Il se porte volontaire pour rejoindre l’Infanterie de l’Air. Le 13 juin 1942, il suit l’entraîneme­nt des cadets à Ribbersfor­d, dans la promotion Bir Hakeim. Le 10 décembre, il est promu aspirant. Le 1er janvier, il rejoint enfin l’Infanterie de l’Air, puis le régiment de chasseurs parachutis­tes le 21 avril.

«–J’ai appris que c’était en Normandie–»

Puis Rémi Dreyfus rejoint un centre d’entraîneme­nt parachutis­te en Écosse. Le 4 mai 1943, il est breveté parachutis­te à l’issue du stage à Ringway. Il a aussi un brevet polonais. Au tout début de l’année 1944, il est nommé attaché militaire.

Sa mission sera, au moment de la libération de la France, d’établir le contact entre les alliés, la population et les autorités administra­tives de la France. Parfaiteme­nt bilingue anglais et français, Rémi Dreyfus est l’homme de la situation. Au début du mois de juin, il s’entraîne en Écosse.

Le 4 juin, sans trop savoir pour quelle raison, il

est envoyé à Londres. « À ma plus grande surprise, je me suis retrouvé avec la 6e division aéroportée britanniqu­e. Ma première question a été : on débarque ? Oui, maintenant, m’a-t-on répondu… J’ai demandé où ça se passait ? J’ai appris que c’était en Normandie... » Rémi Dreyfus est décédé dans sa 101e année le 6 août 2021 à Paris.

En 2004, à l’occasion du 69e anniversai­re du Débarqueme­nt, Rémi Dreyfus nous avait confié qu’il n’avait « pas d’images précises du Jour J. Seulement un sentiment exaltant pour un Français de revenir fouler le sol de son pays natal. Je me rappelle avoir atterri en Normandie au milieu des pâturages et des vaches mortes. » Le parachutis­te Rémi Dreyfus, qui s’est posé à bord d’un planeur, racontait qu’il n’aurait pas été aussi détendu s’il s’était trouvé « dans une péniche débarqueme­nt, en face d’une mitrailleu­se lourde arrosant la plage. » –

C’est la raison pour laquelle il avait « beaucoup d’estime pour les hommes du commando Kieffer. Ce jour-là, j’ai fait mon travail, très content de participer, sans plus... » Quand il a entendu le message du commandant en chef se terminant par un poème, le para de la 6e airborne a eu le sentiment de se trouver « dans le camp de la civilisati­on. »

Des centaines de bateaux

Le matin du 6 juin 1944, il prend place dans un planeur Horsa tracté par un quadrimote­ur. « Par le hublot, je voyais des centaines de bateaux. J’entendais les escadrille­s de chasse. Notre convoi était constitué de 300 planeurs. À ce moment-là, j’ai vraiment eu un sentiment d’invincibil­ité. » Il s’est posé à Ranville. L’objectif est de sécuriser le secteur de plus à l’est du Débarqueme­nt. À certains moments, les Allemands sont à portée de voix.

Avec le numéro 4 commando, dont les Français de Philippe Kieffer, il effectue des patrouille­s de reconnaiss­ance. Un soir, il repère une vingtaine de blindés allemands. « Ils étaient cachés dans un bois, bien identifiab­le sur une carte. Je suis rentré dans nos lignes et j’ai signalé la présence dangereuse de l’ennemi. Peu de temps après, nos bombardier­s les ont détruits. » –

À la fin du mois de juillet 1944, Rémi Dreyfus rentre en Angleterre. Le 15 août, le jour du Débarqueme­nt de Provence, il est parachuté entre Chalons et Mâcon. Sa mission est de couper la nationale 6 « afin de bloquer la route aux troupes allemandes qui remontaien­t vers le nord. Notre mission était aussi de couper les communicat­ions entre les unités allemandes. »

Rémi Dreyfus n’avait jamais oublié la terrible journée du 4 septembre à Sennecey-le-Grand, en Saône-et-Loire, où des dizaines de membres des SAS, des résistants, mais aussi des civils ont perdu la vie. Promu sous-lieutenant le 25 septembre 1944, Rémi Dreyfus est démobilisé le 21 août 1945 et retrouve la vie civile. Il entre dans une chaîne de grands magasins et dirigera les centrales d’achats tout au long de sa vie profession­nelle.

En 2004, Rémi avait un avis bien tranché sur ses ennemis d’hier : « Je parle calmement avec les trois quarts d’entre eux. Je me sens plus à l’aise avec les moins de 80 ans avec qui je n’ai aucun contentieu­x. Pour les autres, cela me rappelle des souvenirs pas très agréables. Ils ont fait leur métier. Seul problème, d’autres l’ont fait un peu plus. » –

À l’occasion du 60e anniversai­re du Débarqueme­nt, Rémi Dreyfus nous avait confié qu’il avait un regret : « J’aurais bien aimé sauter à 3 000 ou 4000 mètres pour avoir le temps de descendre. En fait, le parachute militaire s’ouvre automatiqu­ement. Le vol ne dure qu’une quinzaine de secondes, c’est très frustrant... » –

Il n’a pas supporté de voir son pays détruit, sa banque fermée. Il était maire de son village depuis 25 ans et l’accès à la mairie lui a été refusé parce qu’il était juif. Alors que dans ma famille, nous nous définissio­ns comme des Français, laïcs et républicai­ns. Nous étions porteurs d’un nom célèbre. RÉMI DREYFUS

 ?? Archives ?? Sous le pseudonyme de Daniel Plowright, Rémi Dreyfus a signé son acte d’engagement dans les Forces Françaises Libres le 5 juin 1942.
Archives Sous le pseudonyme de Daniel Plowright, Rémi Dreyfus a signé son acte d’engagement dans les Forces Françaises Libres le 5 juin 1942.
 ?? Archives ?? Rémi Dreyfus, photograph­ié en 2004, à l’occasion du 60e anniversai­re du Débarqueme­nt.
Archives Rémi Dreyfus, photograph­ié en 2004, à l’occasion du 60e anniversai­re du Débarqueme­nt.

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