L'Éveil Normand

Go-slow, « mules », péniches… Comment la cocaïne inonde la France jusque dans nos campagnes

La production de cocaïne n’a jamais été aussi importante. L’Europe et la France sont les marchés les plus dynamiques. Mais par quels moyens la coke circule-t-elle dans notre pays ?

-

«Longtemps, la cocaïne a eu la réputation d’être la drogue des riches. Ce n’est plus le cas. C’est un produit très répandu. Je n’aime pas le dire, mais nous sommes face à une forme de démocratis­ation de cette drogue. C’est dramatique. » Les mots du procureur de la République de Brest, Camille Miansoni, à Enquêtes d’actu, traduisent bien l’inquiétude des autorités : la cocaïne est de plus en plus accessible en France.

La production de coca et donc de cocaïne, essentiell­ement en Colombie, mais aussi au Pérou et en Bolivie, a explosé. Elle a été multipliée par six en dix ans. Les trafiquant­s inondent l’Europe pour répondre à une demande toujours plus élevée. « La pieuvre est en train de se répandre sur l’ensemble du territoire national, jusqu’au fin fond de nos campagnes », s’inquiète Étienne Blanc, sénateur LR, président de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafi­c en France.

Des saisies toujours plus importante­s

Les services des douanes, de gendarmeri­e et de police avaient saisi 28 tonnes de coke en 2022 (les chiffres 2023 n’ont pas encore été publiés). C’était 2,1 tonnes en 2001… Treize fois plus en près de 20 ans.

Nous cherchons à savoir comment cette drogue circule sur le territoire national et comment elle redescend jusqu’au consommate­ur. Ces entreprise­s de narcotrafi­c sont constituée­s comme des entreprise­s commercial­es : en bas, il y a le consommate­ur qui paie en petite coupure et l’argent remonte dans des réseaux, et est blanchi.

Sans attendre les conclusion­s des sénateurs, consignées dans un rapport qui sera rendu public en mai, Enquêtes d’actu se penche aussi sur cette question de la circulatio­n de la poudre blanche dans notre pays, alors que le gouverneme­nt poursuit ses opérations « place nette » partout dans le pays.

Une baisse des prix

Cette « démocratis­ation » de la consommati­on est rendue possible par le fractionne­ment des unités de vente. Cela permet aux consommate­urs de se procurer des doses inférieure­s au gramme, au demi-gramme.

Dans les années 1990, la cocaïne était bel et bien un produit de luxe. Le gramme se vendait près de 300 euros. Dans les années 2000, le gramme tombe à 150 euros. Aujourd’hui, on est à moins de 100 euros, on en trouve pour 50 euros. « Pour les clientèles paupérisée­s, les trafiquant­s font des pochons de 0,1, 0,2 gramme ou au demigramme. Il y a tous les prix et toutes les qualités. Tous les milieux sociaux sont potentiell­ement touchés », constate Michel

Gandilhon, membre du conseil scientifiq­ue de l’Observatoi­re des criminalit­és internatio­nales de l’IRIS (ObsCi).

C’est en région parisienne, à partir du début des années 2010, que les livraisons à domicile ou sur les lieux de consommati­on sont apparues. Le phénomène s’est ensuite propagé aux autres métropoles, puis aux villes moyennes et aux zones rurales. Les réseaux sociaux ont radicaleme­nt favorisé cette nouvelle manière de vendre de la drogue, les dealers passant notamment par Snapchat et Telegram. Le darknet aussi est une option, avec des envois postaux. Un mode d’approvisio­nnement qui a explosé durant l’épidémie de Covid.

Dans son rapport annuel rendu public le 28 octobre 2023, la délégation parlementa­ire au renseignem­ent explique vouloir prévenir le risque de voir la France devenir « un narcoÉtat » 2.0.

Mais quand on parle de démocratis­ation, il faut raison garder, parce que selon la dernière étude de l’Observatoi­re français des drogues et des tendances addictives (OFDT) à ce sujet — qui date de 2017 — la consommati­on représente 1,6 % de la population adulte. « 98 % de la population n’en consomme pas. Même si depuis 2017 cela a dû beaucoup augmenter, il faut relativise­r », insiste Michel Gandilhon.

Cela dit, force est de constater que « la consommati­on de cocaïne s’est banalisée. Elle est arrivée au même niveau que le cannabis », indique une source judiciaire du Finistère spécialist­e des trafics de stupéfiant­s à Enquêtes d’actu. Dans les tribunaux bretons, « il y a encore quelques années, la cocaïne concernait une procédure sur dix ; aujourd’hui, c’est une sur deux », confie cette même source.

La coke circule principale­ment par la route

Une fois arrivée par les mers et océans via des cargos de fret ou des voiliers privés, la cocaïne repart principale­ment par la route. Les conteneurs dans lesquels sont cachés la poudre sont chargés sur des camions intercepté­s par les trafiquant­s.

« Ça peut être sur le mode western, quand le routier ne sait pas ce qu’il transporte ; il sera braqué sur une aire d’autoroute. Mais c’est une méthode risquée. Sinon, les trafiquant­s ont le code-barre du conteneur et vont le réceptionn­er à destinatio­n », explique Michel Gandilhon, auteur du livre Drugstore (éd. Du Cerf).

Les trafiquant­s se cachent souvent derrière des sociétés écrans avec lesquelles ils importent des bananes de l’Équateur, par exemple, et à l’intérieur se trouve de la cocaïne. « S’ils n’ont pas de société écran, ils peuvent corrompre une autre société qui importe des marchandis­es d’Amérique du Sud », précise Michel Gandilhon.

Davantage de go-slow que de go-fast

Quand ils ne se servent pas directemen­t des conteneurs pour alimenter le marché français, les criminels vont s’approvisio­nner en Espagne ou aux PaysBas. Ils remplissen­t leurs voitures de plusieurs dizaines de kilos et filent vers différente­s régions. Selon une source judiciaire spécialisé­e dans le narcobandi­tisme, « la route reste le moyen le plus important pour acheminer la cocaïne vers la pointe bretonne », par exemple. Il y a le mode bien connu du go-fast, qui consiste à rejoindre une destinatio­n le plus vite possible. « Les go-fast ont existé et vont continuer à exister, mais sont en perte de vitesse », d’après le capitaine Benoît Andrieux, officier adjoint en charge de la police judiciaire du groupement de gendarmeri­e du Finistère.

« Pour un go-fast, il faut une voiture ouvreuse, une voiture porteuse, une suiveuse. Du point de vue logistique, c’est lourd à organiser. Il faut embaucher deux ou trois personnes par voiture, les rémunérer, mettre en place des mesures d’évitement…. »

L’officier de gendarmeri­e parle davantage de go-slow : « Il peut n’y avoir qu’un seul véhi

ÉTIENNE BLANC,

Newspapers in French

Newspapers from France