Christian Makarian, Anne Levade, Laurent Alexandre, Jacques Attali
D’épisodes en rebondissements, le mauvais feuilleton du Brexit n’en finit pas de tenir l’Europe en haleine. Au point que les électeurs britanniques eux-mêmes semblent lassés des débats dans lesquels, comme toujours, ce sont les plus acharnés du camp des « brexiters » qui se font le plus entendre. De fait, ces derniers ont trouvé toutes les raisons d’être en colère.
Après un accord très complexe, conclu d’arrachepied avec Bruxelles, Theresa May a obtenu l’assentiment d’une partie de son cabinet, mercredi 14novembre, pour présenter au Parlement une option soft du Brexit, caractérisée par des concessions substantielles faites par Londres. Pour l’essentiel, retenons que l’union douanière entre le Royaume-Uni et l’UE reste la base de la future relation ; c’est notamment à ce prix-là que l’Ulster (Irlande du Nord) demeure dans la même entité économique que l’Angleterre tout en évitant de se retrouver séparée de la République d’Irlande par une frontière douanière. Au terme d’une période de transition rallongée (et renouvelable), on devrait enfin parvenir au divorce, mais par consentement mutuel… C’est bien ce qui fait bondir les « hard brexiters », dindons de la farce qui s’insurgent d’une perte flagrante de souveraineté : on est aux antipodes de ce qu’ils souhaitaient après avoir obtenu la victoire du non lors du référendum de juin 2016. Cinq démissions au sein du gouvernement anglais ont été enregistrées dans la foulée.
May doit maintenant porter le sujet devant la Chambre des communes, avec une équation infernale : une grande partie des conservateurs est vent debout contre elle, tandis que les travaillistes cherchent à la faire tomber et que les Libéraux-démocrates ne font rien pour l’aider en réclamant un nouveau référendum. Même l’ancien Premier ministre travailliste Tony Blair, europhile, a dénoncé une « capitulation » et rejoint les critiques des conservateurs les plus durs : « En cherchant à reprendre le contrôle, nous avons perdu le contrôle que nous possédions. » Il ne reste plus à Theresa May qu’un seul argument : ou bien vous acceptez l’accord présent, ou bien le Royaume-Uni quittera l’UE sans accord. Autrement dit, le chaos.
A ce stade, la question est-elle encore européenne? Elle a surtout trait à la volonté des Britanniques de résoudre entre eux leur vive querelle nationale, et à la crise institutionnelle qui oppose des catégories sociales en colère à l’élite du pays. D’ici à la mi-décembre, les députés devront voter sur cet accord; sachant que MmeMay n’a pas la majorité nécessaire pour l’emporter, un apport de voix travaillistes sera-t-il envisageable et suffisant? Rien ne permet de l’affirmer.
Mais la Première ministre aura bravé toutes les tempêtes, en promettant d’être dure pour finir conciliante, même si elle apparaît lâchée de toutes parts. Alors que les « brexiters » paraissaient sûrs de pouvoir négocier un accord commercial avec Bruxelles avant la sortie de l’UE, elle a surfé sur l’inflexibilité du négociateur européen, Michel Barnier, lequel a réussi à imposer que le Royaume-Uni devait d’abord quitter l’Union et seulement ensuite négocier les conditions douanières (voir page 10). Au passage, contrairement aux calculs des « hard brexiters », l’Europe des VingtSept ne s’est pas fracturée au sujet du Brexit.
Si bien que Theresa May manie avec une énergie solitaire la peur du vide : si aucun accord n’est adopté, c’est le risque d’une crise économique majeure qui se profile, mais aussi la possibilité d’un nouveau référendum – de quoi faire peur aux partisans du Brexit, car les sondages semblent démontrer que l’opinion se serait retournée depuis 2016. Laisser la parole au peuple une deuxième fois? Un cauchemar pour l’aile droite des conservateurs, pourtant directement à l’origine de tout ce drame shakespearien, dont l’issue demeure imprévisible jusqu’au dernier acte.
La Première ministre apparaît lâchée de toutes parts