Drones : objets volants à abattre
Face à la prolifération de ces petits bijoux de technologie, les autorités font appel à l’armée et à des start-up pour s’en protéger.
Du faux assaut contre la centrale nucléaire du Bugey, près de Lyon, par Greenpeace (le 3 juillet 2018) au survol du fort de Brégançon (le 6 juillet), où Emmanuel Macron passait ses vacances, en passant par l’attaque du président vénézuélien, Nicolas Maduro, lors d’un discours (le 4 août), ou la perturbation du trafic aérien due à des intrusions dans des aéroports, l’utilisation de drones à des fins malveillantes se répand. Un nouveau danger venu du ciel? « La menace est protéiforme et présente divers niveaux de gravité – du nonrespect de la vie privée au risque terroriste », résume Henry dePlinval, directeur du programme drones à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera).
Pour se protéger, les autorités publiques et les grandes entreprises se démènent. « La sécurisation de l’es pa ce aérien peut se schématiser en trois actes », explique Henry de Plinval. La détection, c’est-à- dire la surveillance vingt- quatre heures sur vingt- quatre d’un site donné et le déclenchement d’une alerte en cas d’intrusion ; l’identification, pour confirmer et qualifier la menace – s’agit-il d’une simple prise de vues, d’espionnage, voire d’une action terroriste ? – puis pour lo caliser l’appareil et le pilo te ; enfin, la neutralisation, qui se concrétise par la capture, le brouillage ou la destruction de l’aéronef. « Il n’y a pas de panacée dans ce domaine, prévient le responsable. Chaque situation demande des réponses adaptées en fonction du lieu (ville, campagne, centrale nucléaire, aéroport, prison...), des moyens financiers, du contexte technique et des forces humaines disponibles. »
Pour la phase de détection, un radar actif est généralement utilisé – il émet une onde électromagnétique dont l’écoute permet de repérer tout objet se déplaçant dans un rayon donné. On peut aussi recourir à un radar passif, qui traque les ondes alentour à la recherche d’un microchangement. De même, des systèmes de repérage acoustique peuvent être déployés, mais ils sont peu efficients dans un environnement bruyant comme celui des villes. Enfin, des radars lasers (Lidar) ou encore la technique de la radiogoniométrie, qui se focalise sur les échanges entre l’opérateur et son appareil, aident aussi à déceler des engins volants.
Sur un site à protéger, une fois la menace avérée, l’identification se fera par un opérateur humain ou une tourelle automatique qui va utiliser des caméras à haute résolution et/ou à infrarouges. « Les algorithmes d’intelligence artificielle de reconnaissance de formes peuvent se révéler très utiles, par exemple, en distinguant un oiseau d’un drone, ce qui permet de ne pas déclencher l’alarme pour rien », précise l’expert de l’Onera.
« L’idéal est évidemment d’adapter et de combiner toutes ces technologies. Aujourd’hui, en fusionnant les données radar et les relevés radiogoniométriques, nous n’avons presque plus de fausses alertes », confirme Michel Dechanet, le « M. Drones » de Thales Air Systems. Le groupe européen d’électronique, spécialisé dans les systèmes de défense, s’est engagé dans le projet Hologarde (en partenariat avec Aéroports de Paris) pour développer des radars ultrapuissants. « Ils détectent des objets d’environ 10 centimètres à une distance maximale de 5 kilomètres, précise l’ingénieur. Et d’ici à l’an prochain, nous espérons étendre notre champ à 10 kilomètres. » Un projet « suivi de près » par l’armée, confie le général de corps aérien Jean- Christophe Zimmermann, qui ajoute que les forces françaises ont déjà choisi, dans le cadre du programme « Moyen intermédiaire de lutte antidrone », un système semi-automatique associant radars et optronique.
La dernière étape, la plus compliquée, consiste à neutraliser l’intrus. Or, à ce jour, le brouillage est de loin le moyen le plus efficace. « Il existe différents systèmes, mais tous fonctionnent selon le même principe : saturer les fréquences, un peu comme si vous criiez sur un humain pour le déconcentrer », illustre Henry de Plinval. Le signal GPS utilisé par les drones pour se déplacer peut ainsi être parasité par une ou plusieurs fréquences afin de désorienter l’engin. Le « leurrage » GPS est une variante pour tromper l’appareil visé en lui envoyant un vrai signal GPS indiquant une fausse position. Enfin, si le drone est piloté manuellement grâce à une caméra, il est aussi possible de perturber le signal vidéo jusqu’à ce que l’opérateur ne voie plus rien.
Mais il y a un hic à toutes ces solutions de brouillage. « Leur emploi dans des zones de guerre semble idéal, mais, sur le territoire national, il demeure très encadré à cause des nombreux impacts négatifs, parce qu’il peut perturber d’autres équipements », souligne Michel Dechanet. Conséquence, leur usage est interdit, sauf par les militaires en cas de menace pour la sécurité du pays. « Plus la surface à protéger est grande – imaginez un aéroport ou un environnement urbain –, plus le système à déployer devient difficile à élaborer », insiste l’expert de Thales. D’où l’idée de développer des moyens de
LA FUSION DE PLUSIEURS TECHNOLOGIES PERMET UNE DÉTECTION QUASI PARFAITE
brouillage ciblés. A l’instar de celui de la société lilloise MC2 Technologies, qui a conçu le Nerod F5, une sorte de gros « fusil » de 6 kilos. En pointant son canon – une grosse antenne qui couvre théoriquement toutes les fréquences –, il peut couper la liaison entre le drone et la station avec laquelle il communique au sol. Résultat : l’appareil se retrouve comme « paralysé », il enclenche son pilotage automatique et atterrit, ou vole en stationnaire jusqu’à épuisement des batteries, avant de chuter. Le projet, développé en partie avec des financements de la Délégation générale de l’armement, reste très secret : les spécificités de l’arme comme son rayon opérationnel demeurent jalousement gardés.
« NEUTRALISER À LA SOURCE »
Quid du piratage ? « Il faut casser ce mythe, tranche Lucas Le Bell, directeur général de CerbAir. Cette solution peut s’avérer efficace avec de petits engins non sécurisés ou des drones jouets, qui utilisent le Wi-Fi, mais elle devient rapidement limitée avec des appareils un peu sophistiqués. » Sa start-up travaille sur un système qui détecte les communications entre le pilote et sa machine dans un rayon de 2 à 5 kilomètres grâce à une technologie d’écoute passive. Ainsi localisés, l’un et l’autre peuvent être « neutralisés à la source » par les forces de sécurité ou de police. Dans le même ordre d’idées, il existe d’autres méthodes plus radicales encore. Comme le ball-trap, qui se résume à tirer avec une arme à feu sur un drone non identifié. Outre un taux de succès imparfait, il fait courir un danger aux populations, notamment en zone urbaine. Certaines sociétés ont aussi développé des alternatives, comme les fusils à filet. « C’est l’ultime recours, une fois que l’appareil a pénétré dans la zone protégée », dit Richard Gill, PDG de la start-up britannique Drone Defence. Son Net Gun X1, qui peut capturer un engin jusqu’à 15 mètres de distance, a déjà fait ses preuves dans des prisons au Royaume-Uni. D’autres planchent sur des drones chasseurs, équipés d’un système de brouillage ou d’un filet, voire sur des flashs lumineux pour neutraliser les caméras volantes, ou encore des « drones kamikazes » qui percutent les cibles ennemies.
Sans oublier la solution animale : la police néerlandaise fut la première, en 2016, à dresser des aigles pour intercepter les drones. L’expérience a fait long feu : non seulement leur entretien coûte cher – les pauvres rapaces se blessent parfois à cause des hélices –, mais surtout la rapidité et la maniabilité des nouveaux modèles de drones les ont mis hors jeu. De son côté, l’armée française continue d’« entraîner une poignée de volatiles dans la base militaire de Mont-de-Marsan », confie Etienne Patry, chef d’état-major du commandement des forces aériennes. Mais l’attaque récente d’une fillette – confondue avec un drone – par un des rapaces devrait sonner le glas de l’arme ornithologique. « La décision finale sera arrêtée à la fin de l’année », promet le général. Avant d’anticiper : « L’usage des rapaces par l’armée, même s’ils peuvent se révéler utiles dans des cas précis, classés “secretdéfense”, demeure moins aisé que celui des chiens. Il n’est peut-être pas assez significatif pour être retenu. » Reste que, même sans ces zélés prédateurs, les drones font désormais l’objet d’une surveillance acérée.