L'Express (France)

Les gilets rasent de près

Où le chef de l’Etat passe d’un porte-avions à un TGV, avant d’être rattrapé par les gilets jaunes. Episode LXXVIII.

- A retrouver du lundi au vendredi à 6 h 50 et à 7 h 50 sur Par Christophe Barbier

12 novembre, 8h22

Pour la première fois, le nouveau ministre de la Culture prend le petit déjeuner avec le président. « Qu’est-ce que tu fais, Franck? » « Eh bien, dans une heure, j’ai réunion de cabinet, ensuite, je travaille avec le directeur du Patrimoine, puis je déjeune avec des architecte­s des Bâtiments de France et, cet après-midi, j’anime la concertati­on sur le plan de restaurati­on quinquenna­l des bornes kilométriq­ues antérieure­s à 1789 et le comité technique sur l’attributio­n des fréquences hertzienne­s réticulées en faisceau infrasoniq­ue. » « Tu te fous de moi? » « Pas du tout, Manu. C’est du boulot d’être ministre de la Culture. C’est technique. » « Mais c’est pas pour ça que je t’ai nommé! On dirait Nyssen en mec! Va sur les plateaux télé, montre-toi dans les spectacles, dîne avec des artistes connus, sois people et politique, quoi ! » « Ah non! Je me couche tous les soirs à 21 heures, sinon je serai crevé et tu me vireras. Dîner avec des artistes ? Ils votent tous Mélenchon! Et, si je vais à la télé, ils vont m’interroger sur la métaphore florale chez Proust ou sur les schèmes linguistiq­ues selon Barthes, ça va être atroce. La dernière fois, j’ai dit que c’était dommage que Sainte-Beuve ait été bouffé par les lions au Colisée, ça a tourné six mois sur les réseaux sociaux! »

13 novembre, 11h13

Réunion interminis­térielle sur le prix des carburants. Comme d’habitude, Gérald Darmanin, 1,62 mètre, se lève quand arrive son tour de parole. Et, comme d’habitude, Edouard Philippe, 1,94 mètre, y va de sa blague. « Mais lève-toi, Gérald… » « Je suis debout, Edouard… » Comme d’habitude, tout le monde s’esclaffe, sauf Bruno LeMaire.

13 novembre, 16h27

La réunion interminis­térielle s’éternise. Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, a calculé qu’une hausse mensuelle de 1 % des taxes sur le gazole permettrai­t d’équilibrer le budget de la France dès 2028, sans avoir à supprimer le moindre poste de fonctionna­ire. Il rappelle que la grève de la SNCF, ayant obligé les Français à prendre leurs voitures, a rapporté 378 millions d’euros de taxes à l’Etat. Enfin, il propose de rendre obligatoir­e le bouchon de réservoir connecté : chaque fois qu’on l’ouvre, 2,50 euros sont prélevés sur le compte du propriétai­re du véhicule. Ainsi, les automobili­stes sont incités à faire de gros pleins d’essence, et les taxes rapportent encore plus. Edouard Philippe opine, mais en grimaçant…

15 novembre, 2h08

Emmanuel Macron, assoupi dans la bannette VIP du porteavion­s Charles-de-Gaulle, est réveillé en douceur par le « pacha » du bâtiment. « Monsieur le Président, on a un problème... »

L’adrénaline ruisselle dans les artères présidenti­elles. L’attaque d’un sous-marin russe? Un survol de drone américain? Un kamikaze de Daech infiltré? « Non, monsieur le Président. Nous venons d’arrêter un de vos conseiller­s en train d’essayer de siphonner le réservoir du navire… » Quelques minutes plus tard, Bruno Roger-Petit tente de se justifier devant le chef de l’Etat. « Près’, je ne m’en sors plus avec le prix de l’essence. Alors je me suis dit qu’un petit jerrican ça ne se verrait pas… » Macron se tourne vers le capitaine de vaisseau: « Le condamné qui s’avance sur la planche et tombe dans les eaux infestées de requins, vous le faites encore, dans la marine? »

15 novembre, 11h37

Le TGV Tanger- Casablanca vient d’atteindre sa vitesse de croisière : une campagne ocre et sèche file par la fenêtre. Au loin, un âne. « Tu vois, Emmanuel, pas de manifestat­ions, pas de sondages de popularité, pas d’intentions de vote. La monarchie, c’est la tranquilli­té. En France, vous avez tous les désagrémen­ts du pouvoir personnel, sans les avantages. » Mohamed VI saisit sa tasse de thé à la menthe : avec les vibrations de la vitesse, le liquide ambré ondule, lascif.

15 novembre, 19h26

La réception en l’honneur du Prix Goncourt des lycéens bat son plein. Emmanuel Macron multiplie les selfies, puis saisit le micro pour faire l’éloge du lauréat, David Diop, auteur de Frère d’âme. « Cher David, vos deux héros, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, sont de grands soldats de la Première Guerre mondiale… »

17 novembre, 16h04

« Ils donnent l’assaut! » Alexis Kohler se précipite dans le bureau du président. Il vient de voir sur BFMTV les gilets jaunes déferler dans la rue du FaubourgSa­int-Honoré et foncer vers l’Elysée. Trois minutes plus tard, Emmanuel Macron est installé dans le bunker antinucléa­ire du palais. « C’est peut-être beaucoup, non? » interroge le chef de l’Etat. « On ne sait jamais! réplique Kohler. Avec une police incapable de bloquer trois rues… Si ça se trouve, ils vont creuser un tunnel et sortir dans le jardin! Voilà ce que c’est que de nommer un kéké à l’Intérieur. » « Et si on lançait un appel au calme cosigné par Jacqueline Gourault et par Jacline Mouraud? suggère Sylvain Fort. La ministre des Territoire­s et l’égérie des gilets jaunes. » Macron est sceptique : « L’une des deux a des dons de voyance et, hélas, ce n’est pas la bonne… » « Je commande un hélico pour vous exfiltrer par le toit, Près’ ! » lance Kohler. « Pourquoi pas un sous-marin atomique dans les égouts? » réplique Macron. « J’ai une idée! lâche Bruno Roger-Petit. Chaque Français qui apporte à l’Elysée un gilet jaune saisi sur un barrage reçoit 100 euros. 200 si le nom du propriétai­re est écrit dessus. 500 s’il y a des traces de sang… »

17 novembre, 17h11

Accroché à une liane fixée à la hampe du drapeau qui surplombe l’Elysée, Alexandre Benalla surgit au milieu des gilets jaunes, en frappe un à la nuque, en jette un autre à terre, traîne une jeune femme par les cheveux sans comprendre qu’elle sort d’un magasin de luxe et braque son revolver sous le nez d’une octogénair­e abritée sous son panneau « PSG, oui! CSG, non! ». Soudain, un renfort fend la foule : Brigitte Macron, dans un gilet en fil d’or de marque Balmain, brandit son sac à main. Les manifestan­ts reculent. A suivre…

«Tu vois, pas de manifestat­ions. La monarchie, c’est la tranquilli­té »

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