ET S’IL ÉTAIT IMPOSSIBLE DE SORTIR DE L’EUROPE?
L’objet des Communautés était de garantir la paix durablement
Voici près de deux ans et demi que nous suivons en temps réel le feuilleton de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Depuis que, le 23 juin 2016, les Britanniques ont, à 51,8 %, choisi le Brexit. L’échéance, fixée au 29mars 2019, se rapproche à grands pas, et l’on est encore loin d’y voir clair sur les conditions dans lesquelles les relations de l’Union avec son futur ex-Etat membre pourraient s’organiser.
Certes, l’annonce a été officiellement faite, le 14 novembre, qu’un accord avait été enfin trouvé. Mais ensuite, côté britannique, tout s’est enrayé. Alors que le 15 novembre la Première ministre exposait les termes de l’accord aux parlementaires, cinq membres du gouvernement, parmi lesquels le secrétaire d’Etat et la sous-secrétaire d’Etat en charge du Brexit, présentaient, dès le lendemain, leur démission. Theresa May a beau avoir presque immédiatement remplacé les contestataires et lancé une offensive médiatique dans la presse du week-end pour expliquer qu’« il n’y a pas d’alternative à l’accord négocié », les choses semblent mal engagées. Et ses adversaires ont beau jeu d’expliquer que jamais le Brexit n’aurait dû être confié à un chef de gouvernement qui, lors du référendum, appelait au maintien du Royaume-Uni dans l’Union.
Mais, au-delà de la crise politique qui semble consommée, il n’est pas interdit de se demander si le chaos auquel on assiste ne résulte pas tout simplement du fait que l’Union européenne n’a pas été conçue pour que des Etats membres en sortent. En effet, rappelons que cela ne fait pas même dix ans que les traités prévoient la possibilité pour un Etat de demander son retrait. L’article 50 du traité sur l’Union que le Royaume-Uni a actionné au début de l’année 2017 n’existe que depuis le traité de Lisbonne, qui est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Son principe avait été approuvé lors des négociations du fameux traité constitutionnel enterré par les référendums français et néerlandais de 2005 et il constituait alors une concession aux Etats qui, candidats à l’adhésion, faisaient de leur indépendance retrouvée au lendemain de la chute du mur de Berlin un élément essentiel de leur reconstruction. Pourtant, l’adoption de cette stipulation n’avait pas été sans heurts et nombreux étaient ceux qui considéraient qu’elle était incompatible avec l’esprit de la construction européenne.
Car, lorsque les Communautés ont été instituées, leur objet était de garantir durablement la paix. Si, par prudence, la Communauté du charbon et de l’acier était prévue pour durer cinquante ans, les traités de 1957 instituant la Communauté économique européenne et celle de l’énergie atomique furent conclus « pour une durée illimitée ». L’idée était simple et en filigrane dans le discours fondateur prononcé le 9 mai 1950 par Robert Schuman : le meilleur moyen d’assurer que la paix pût enfin régner en Europe était de créer des interdépendances telles que « toute guerre entre la France et l’Allemagne devienne non seulement impensable, mais matériellement impossible ». De là l’idée d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », d’un système reposant sur l’exercice en commun de certaines compétences souveraines, et le choix de faire sanctionner l’Etat membre qui ne respecterait pas ses obligations par un juge plutôt que de l’exclure.
Alors, oui, les « brexiters » ont des raisons de se plaindre d’un accord qui prévoit que, à compter du 29 mars prochain, le Royaume-Uni ne sera plus représenté dans aucune institution de l’Union mais restera lié pendant une période transitoire de ving et un mois par l’ensemble de ses engagements et ensuite par un nouveau traité. Mais ils sont, en revanche, mal venus de s’en étonner : l’Union européenne a été faite pour qu’on ne puisse pas la quitter.