L'Express (France)

PRÉPARER L’AVENIR SANS NUIRE AU PRÉSENT

- JACQUES ATTALI Ecrivain, auteur de nombreux romans et essais, Jacques Attali est président de la fondation Positive Planet.

Dans le monde d’aujourd’hui, chacun ou presque, gilet jaune ou gilet doré, ne se préoccupe plus que de lui-même. Chacun pense que tout lui est dû, que tout ce qui est vital doit lui être fourni gratuiteme­nt, que personne ne peut le priver du superflu, et qu’il a même le droit de le considérer comme vital.

Et pourtant, même parmi les gilets dorés, presque personne ne se reconnaît comme riche. Chacun ne voit que ce qui lui manque et se plaint de ne pas avoir les moyens de vivre toutes ses envies.

De fait, aujourd’hui, presque partout dans le monde, la plupart des biens vitaux (la nourriture, l’habillemen­t, l’équipement ménager, le transport collectif ) sont beaucoup moins coûteux qu’avant. Certes, certains biens vitaux (le logement, la santé, l’éducation, le transport individuel) restent hors de portée des plus démunis et supposent de la solidarité entre gilets jaunes et gilets dorés.

De plus, des biens nouveaux (ordinateur­s, tablettes, téléphones mobiles, jeux vidéo, abonnement­s à des plateforme­s) se sont glissés dans les besoins vitaux, parce que nul ne veut s’en priver. Ce qui réduit la part du revenu disponible pour financer les autres biens vitaux. D’où le sentiment, trompeur, que le pouvoir d’achat de chacun est en baisse, que les impôts sont un vol et les dépenses publiques, un dû.

Or le pouvoir d’achat n’est pas en baisse. Il est seulement très inégalemen­t et très injustemen­t réparti. Et les dépenses publiques, que finance l’impôt, ne sont pas un dû pour les vivants d’aujourd’hui. Elles sont aussi essentiell­es au bien- être d’autres que les gilets jaunes et les gilets dorés : les génération­s futures.

Et tant que nous n’avons pas changé de modèle de développem­ent, le bien- être d’aujourd’hui nuira à celui de demain. Plus de consommati­on pille les ressources des génération­s futures. Plus de justice sociale dégrade leur environnem­ent. Et inversemen­t, réduire les émissions de gaz à effet de serre pour demain aggrave les injustices d’aujourd’hui. Ainsi, augmenter les taxes sur le carbone pour préparer l’avenir est inévitable­ment contraire aux intérêts immédiats des vivants d’aujourd’hui.

Préparer l’avenir ne peut donc être fait qu’au détriment de la satisfacti­on des désirs immédiats des contempora­ins, gilets jaunes et gilets dorés confondus.

Pour dépasser cette contradict­ion, il faut passer au plus vite à un modèle de développem­ent positif, où le bien-être d’aujourd’hui ne nuise pas à celui de demain. Et, en particulie­r, où la réduction des injustices dans le présent ne nuise pas à l’environnem­ent dans le futur.

Il faut passer au plus vite à un modèle de développem­ent positif

Cela suppose de réduire massivemen­t notre dépendance aux énergies polluantes – pétrole et charbon. Et de diminuer au plus vite notre consommati­on d’autres produits considérés aujourd’hui comme vitaux et qui seront reconnus demain comme mortels – la viande de boeuf, le sucre, etc. Cela suppose aussi d’orienter la consommati­on vers les biens immatériel­s plutôt que matériels. Et, surtout, d’apprendre à découvrir qu’on peut avoir du plaisir à être altruiste.

Plus généraleme­nt, cela suppose d’aider chacun (plus les gilets jaunes que les gilets dorés) à réconcilie­r ses exigences d’aujourd’hui avec celles de ses enfants, à trouver plus de bonheur à préparer l’avenir qu’à gaspiller le présent, à définir ce qu’il attend des autres, et ce qu’il est prêt à faire pour contribuer à leur bonheur.

Cela s’appelle être positif. Et, en soi, cela rend heureux.

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