Schtroumpfs toujours
Vous ne connaissez pas Pierre Culliford? Peut-être le nom de Peyo vous dit-il quelque chose? C’est sous ce pseudonyme que ce Belge né en 1928 a créé Les Schtroumpfs, les petites créatures bleues qui firent tout à la fois sa fortune et son malheur, ainsi que le raconte Hugues Dayez dans sa fascinante biographie. Une sublime monographie publiée ces jours- ci révèle par ailleurs tout le talent du dessinateur (Daniel Maghen, 336 p., 59 €). Comme nombre d’enfants de cette génération, le jeune Peyo connait deux chocs esthétiques avant guerre : Robin des Bois, de Michael Curtiz (Errol Flynn dans son magnifique costume vert !) et BlancheNeige. Le premier imprègne sa série médiévale, les merveilleux Johan et Pirlouit ; et les sept nains du dessin animé de Walt Disney inspirent les Schtroumpfs qui, comme leurs prédécesseurs, ont chacun leur caractère (Schtroumpf Grognon, Schtroumpf Paresseux, etc.)
A l’origine, Les Schtroumpfs sont un spin-off : ces petits lutins ne devaient faire qu’une apparition dans une aventure de Johan et Pirlouit, en 1958, mais, ayant immédiatement séduit les lecteurs de Spirou, ils deviennent des personnages à part entière. L’origine de leur nom a déjà été maintes fois racontée. Un jour qu’il déjeunait avec son ami Franquin, Peyo, voulant lui demander la salière, dit : « Tu peux me passer le… le schtroumpf? Merci de me l’avoir schtroumpfé! » Le merchandising va rapidement faire des petits lutins des stars universelles. Aux Etats-Unis, via dessins animés et longs métrages, The Smurfs sont adulés. Problème : Peyo, incapable de déléguer, se ruine la santé à dessiner des milliers de croquis pour les storyboards et, surtout, devient un homme d’affaires délaissant sa planche à dessin. Ce génie de la clarté et du merveilleux ne pense plus que chiffres, peluches et parc d’attractions. Choisit l’exil fiscal en Suisse. Et meurt à 64 ans. Ses petites créatures l’ont dévoré. Rarement le contraste entre la poésie d’une oeuvre et son destin commercial aura été si cruel.
PEYO L’ENCHANTEUR
PAR HUGUES DAYEZ. NIFFLE, 200 P., 24 €.
18/20