LE RETOUR DU MEUNIER
Peu considéré, ce cépage modeste sort enfin de l’ombre des pinot noir et chardonnay, réputés plus nobles. Et joue désormais les premiers rôles dans des cuvées qui lui sont dédiées.
Du XIIe au XVIIe siècle, quand on l’appelait encore « morillon taconné », le pinot meunier courait déjà les vignes d’Epernay à Paris et assurait la renommée des vins dits de la « rivière » (la Marne) – par opposition à ceux de la « montagne » (de Reims), jugés à l’époque « petits et verdelets ». Mais cela, c’était avant. Avant que son faux frère le pinot noir et l’arrogant chardonnay bourguignon ne l’éclipsent. Du moins des louanges. Car, bien que délaissé, le cépage est resté droit sur ses ceps, mais réduit aux seconds rôles. Il tire son nom du fin duvet blanchâtre qui recouvre la face inférieure de ses jeunes feuilles : celles-ci semblent saupoudrées de farine, d’où le « meunier ». Cette villosité le distingue notamment du pinot noir. Vigoureux, le cépage résiste bien aux gelées meurtrières du printemps et s’accommode des terroirs froids et humides, trop hostiles pour ses deux concurrents champenois. C’est pourquoi on le retrouve surtout dans l’ouest de la vallée de la Marne et dans l’Aisne. Et un peu partout, aussi, planté par défaut : fort de ses 11000 hectares (37 % du vignoble régional), il talonne le pinot noir (38 %) et devance le chardonnay (28 %). Considéré comme peu noble, il est utilisé comme un simple complément des deux raisins stars dans les assemblages, où il apporte néanmoins beaucoup de fruit (mirabelle, coing, abricot, pêche, fruits rouges…), de la rondeur et de la souplesse.
Ce mal-aimé, réputé rustique et manquant d’acidité, a dû attendre longtemps avant d’être de nouveau apprécié pour lui-même. Car, planté au bon endroit, bien traité à la vigne et correctement vinifié au chai, le pinot meunier seul peut donner de grands champagnes. Une réalité de plus en plus prégnante tant les cuvées « 100 % meunier » fleurissent chez les vignerons récoltants-manipulants, les coopératives, et même certaines maisons, qui lui rendent – enfin ! – un hommage mérité.
Pionnière de cette réhabilitation et de la biodynamie, Françoise Bedel prêche sur ses terroirs de la porte occidentale de la Marne, où le pinot meunier frise les 80 % de l’encépagement. Et comme cette autre « grande dame » de la Champagne a la voix qui porte, on l’écoute ! Sa cuvée Origin’elle est une ode au cépage révélé, même s’il doit composer dans la bouteille avec 10 % de pinot noir.
Nul compromis, en revanche, dans les formidables sélections parcellairesd’Eric Taillet ou l’Irizée de Régis Poissinet. Comme en Bourgogne, le premier, vigneron à Baslieux-sousChâtillon (Marne), organise sa production selon une pyramide des crus réfléchie et construite autour du pinot meunier, dont il est aujourd’hui l’un des meilleurs vinificateurs de la vallée de la Marne. Le second, lui, a choisi ce même cépage pour signifier le renouveau du domaine familial de Cuchery. Tandis que Michel Loriot, vigneron mélomane de Festigny, compose une symphonie de saveurs de vieux meunier dans ses flacons de Monodie, Charlène Loriot (sans rapport avec Michel) donne, elle, des accents féminins à ses vins.
L’effervescence meunière prospère aussi sur la mode du monocépage et des blancs de noirs, le pinot meunier constitue l’un des héros des
trilogies des maisons de champagne, comme Gosset, qui a clos la sienne, au printemps dernier, en lui consacrant une édition limitée de 5000 bouteilles en extra-brut. Côté références, il se murmure même que Krug songerait également à lui dédier une cuvée, voire un clos! Rendez-vous dans… une quinzaine d’années au plus tôt. Mieux encore, à l’occasion du
70e anniversaire du prince Charles, l’enseigne de luxe Fortnum & Mason, à Londres, vient de lancer un champagne au profit de l’association caritative du prince de Galles. Des douze vins dégustés à l’aveugle, c’est un 100 % meunier bio du domaine Lelarge-Pugeot, à Vrigny, qui a été retenu. Et voilà le roturier meunier au service de Sa Majesté !