L'Express (France)

Macron et les élus locaux : la détente attendra

Depuis le remaniemen­t, l’exécutif cherche à renouer avec les collectivi­tés locales. Plus facile à dire qu’à faire.

- Par Thierry Dupont et Eric Mandonnet

Surtout, ne pas se fier aux apparences. Le temps de l’apaisement, vraiment? Ce lundi 29 octobre, ils sont trois dans la pièce. Emmanuel Macron, Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, François Baroin, le président de l’Associatio­n des maires de France (AMF). Le ton est courtois, convivial même. Mais les points de vue totalement divergents. « Je te fais de l’eau tiède ou on se dit les choses? » demande d’emblée l’ancien ministre Les Républicai­ns (LR), qui connaît déjà la réponse. Alors il n’y va pas par quatre chemins. « Tes ministres ont publié la liste des maires qui ont augmenté la taxe d’habitation, et ton Premier ministre s’est permis d’adresser des remercieme­nts à ceux qui ne l’avaient pas fait! Dans les deux cas, seules les raisons locales expliquent les choix des maires, l’Etat n’a pas à s’immiscer dans ces décisions, ou alors il fait de la politique ! » La veille du rendez-vous, le Brésil a porté Jair Bolsonaro à sa tête, alors Baroin embraie : « Tu es encerclé de populistes dans le monde, va-t- on continuer ici avec un populisme officiel? »

Le président n’est pas homme à regarder le bout de ses chaussures, plutôt à fixer son interlocut­eur dans les yeux. « Mon chef de gouverneme­nt peut tout à fait adresser ses félicitati­ons à des maires! Tu crois que je ne vois pas la tonalité des communiqué­s que publie l’AMF? » On n’est pas loin du règlement de comptes, notamment à cause du hashtag #BalanceTon­Maire jeté à la vindicte populaire. « La réponse n’a pas été à la hauteur de l’insulte », proteste Baroin, qui cible Bercy et les militants numériques de la Team Macron. « Tu es bien placé pour savoir qu’on ne maîtrise pas tout le monde dans son parti ! » l’interrompt le chef de l’Etat. « Oui, mais toi, tu es président », réplique Baroin. Bientôt, ils ressembler­ont presque à deux gamins : « Je suis élu! » ; « Moi aussi, je suis élu! » Avant de partir, le dirigeant de l’AMF lancera un avertissem­ent plus sérieux : « Même des structures comme les nôtres peuvent être débordées. »

Entre les collectivi­tés territoria­les et l’exécutif, la tension grimpe depuis des mois. En juillet, François Baroin, Dominique Bussereau, le président de l’Assemblée des départemen­ts de France (ADF), et Hervé Morin, celui de

TU SAIS BIEN QU’ON NE MAÎTRISE PAS TOUT LE MONDE DANS SON PARTI ! Emmanuel Macron

Régions de France, ont boycotté la Conférence nationale des territoire­s. Le 26 septembre, à Marseille, le trio a même lancé un appel solennel pour les libertés locales. Dans son bureau, Emmanuel Macron prévient Baroin qu’il ne se rendra pas au congrès de l’AMF, le 22 novembre, malgré son engagement de l’année dernière. Les jours suivants, la présidence tentera à plusieurs reprises d’organiser une séance photo avec des associatio­ns d’élus locaux, mais Baroin se dérobe. A l’Elysée, la cote du maire de Troyes n’est pas à la hausse : « Il ne fait que de la politique. Le Baroin d’un rendezvous présidenti­el est différent de celui des plateaux de télé. »

Le 16 octobre, c’est Dominique Bussereau qui est reçu, en grande pompe. Autour du chef de l’Etat, le Premier ministre, la nouvelle ministre de la Cohésion des territoire­s et des Relations avec les collectivi­tés territoria­les, Jacqueline Gourault, et Alexis Kohler. Bussereau vient accompagné du président du Sénat, Gérard Larcher, son « témoin de moralité ». Le congrès de l’ADF approche, il y a le feu. Macron a beau fustiger le « clientélis­me » des élus locaux, il reconnaît deux problèmes qui concernent directemen­t les départemen­ts : les mineurs étrangers non accompagné­s, dont le nombre explose, et le financemen­t des allocation­s sociales. Bussereau, le plus « Macron-compatible » des trois patrons d’associatio­n, joue cartes sur table : 12 réunions publiques communes sont prévues avec Morin et Baroin. « Si les choses avancent bien entre l’ADF et l’Etat, on y parlera de décentrali­sation. Sinon, ce sera 12Marseill­e! »

Hervé Morin l’a précédé dans le bureau élyséen de quelques heures. Celui qui a lancé l’appel du 26 septembre n’est pas mécontent de son coup : lui trouve que le discours de l’exécutif commence à changer. Le président de la région Normandie plaide pour que l’on passe du « mépris » à la « coconstruc­tion ». « On ne veut pas être des mendiants », dit-il à Emmanuel Macron.

Surtout, ne pas se fier aux apparences. De l’autre côté de la Seine travaille un ancien maire (du Havre), et l’on pourrait penser qu’à Matignon Edouard Philippe joue les facilitate­urs dans les relations entre l’Etat et les élus locaux. On pourrait le penser, on pourrait aussi se tromper. « C’est un mélange de Juppé et de Fillon, dit de lui un ami. Un dur qui garde son calme. » Enfin, pas toujours. En juin, querelle de Normands, le ton a monté avec Hervé Morin, à la fin d’une réunion. « Je n’accepte pas qu’on parle comme ça des fonctionna­ires d’Etat », a tonné le Premier ministre quand son vis-à-vis s’est insurgé contre certains aspects du contrat de maîtrise de la dépense qui devait lier l’Etat et les collectivi­tés locales.

Entre Edouard Philippe et Dominique Bussereau, l’ambiance est à peine meilleure. A la fin du mois de juin, le président de Charente-Maritime découvre dans Les Echos que l’exécutif retire sa propositio­n d’une hausse des frais de notaire pour financer les aides sociales. Le Premier ministre, lui, a l’impression de se faire embobiner, certaines de ses concession­s fuitant dans la presse avant même l’accord conclu. La fois suivante (en octobre), histoire d’éviter tout malentendu, il optera pour tout coucher par écrit.

Au moins les relations entre le chef du gouverneme­nt et François Baroin ne sont- elles pas mauvaises. Non, elles sont inexistant­es. Le second ne pardonne pas au premier d’avoir abandonné LR au lendemain de la présidenti­elle, le premier ne digère pas de voir le second bouder certaines invitation­s sans même prévenir. « L’AMF, ce n’est pas un Etat dans l’Etat », observe Matignon.

VA-T-ON CONTINUER ICI AVEC UN POPULISME OFFICIEL ? François Baroin

Faute de briser l’unité des frondeurs, l’exécutif cherche à les contourner. Il valorise les autres associatio­ns d’élus, comme France urbaine, qui regroupe grandes villes et métropoles. Son président, Jean-Luc Moudenc, maire LR de Toulouse, est souvent consulté, tout comme le Niçois Christian Estrosi. Emmanuel Macron donne de sa personne et de son temps. A Reims, au troisième jour de son « itinérance », il s’enferme quarante minutes dans le bureau du maire LR de la ville, Arnaud Robinet. En tête à tête, ils évoquent le financemen­t du logement social et… les prochaines municipale­s. Le Rémois, qui critiquait le one-man-show présidenti­el lors de la présentati­on du plan banlieues en mai, sort rassuré de l’entretien.

A chacun sa technique pour rompre la glace. Le Premier ministre, lui, se met volontiers à table. Le 26 septembre, Edouard Philippe reçoit à déjeuner les parlementa­ires de Seine-Saint-Denis, toutes formations confondues. Deux heures durant, il les écoute raconter les difficulté­s du territoire. La parole est sans filtre – le préfet du départemen­t n’est pas du rendez-vous. Plus tard, l’hôte des lieux se réjouira par SMS de la qualité de l’échange. Le 24 octobre, dans la petite salle à manger de Matignon, c’est au tour des maires ruraux de vider leur sac jusque tard dans la nuit. Les 80 kilomètres­heure sur route, les fermetures de maternités ou les questions d’eau et d’assainisse­ment s’invitent entre le carpaccio de saint-jacques et la viande de veau. Malgré la fatigue, Edouard Philippe ne bronche pas. Tout juste déconseill­e-t-il à ses invités de boycotter les élections européenne­s – ils menacent de ne pas envoyer aux préfecture­s les résultats de leurs communes.

Assis aux côtés du Premier ministre, Jacqueline Gourault et son ministre chargé des Collectivi­tés territoria­les, Sébastien Lecornu, rodent leur numéro de duettistes. Pour sortir du dialogue de sourds avec les collectivi­tés, l’exécutif a abattu ses deux jokers lors du remaniemen­t du 16 octobre. La centriste a appris sa promotion de la bouche de… François Bayrou, avant même d’en être informée par Edouard Philippe. Elle connaît peu l’ex-LR Sébastien Lecornu, qui déminait jusque-là les dossiers sensibles de Nicolas Hulot. « Mais au Conseil des ministres, je l’avais repéré tout de suite ! » sourit- elle. De l’ancien monde, ces deux-là connaissen­t les moindres ficelles – ils ont occupé tous les postes d’élu. Ne pas se fier à la bonhomie du duo : selon les occasions, chacun peut jouer le gentil ou le méchant flic. Sans état d’âme.

Depuis le remaniemen­t, il n’y a pas un seul Conseil des ministres où le chef de l’Etat ne parle pas des territoire­s. « Il avait une image des élus qui ne correspond pas à la réalité », reconnaît un membre du gouverneme­nt. « Lui et les inspecteur­s des finances qui l’entourent nous prennent pour des ploucs, même si Macron a évidemment l’intelligen­ce de ne pas le montrer », avance un responsabl­e d’associatio­n. Le chemin de la réconcilia­tion entre cette majorité présidenti­elle venue d’ailleurs et les élus locaux est encore long. Un jour, ce sont des parlementa­ires marcheurs qui refusent de se rendre dans une mairie pour une cérémonie entre un ministre français et un collègue étranger. Motif : ils n’aiment pas le premier magistrat. Il faudra les convaincre de respecter les us républicai­ns. Un autre, c’est un député En marche ! qui ne comprend pas pourquoi un maire de sa circonscri­ption ne veut pas construire le parking que lui-même préconise, qui ne comprend surtout pas qu’il n’a pas cette prérogativ­e. Au- delà des querelles d’ego, voilà aussi pourquoi les blocages tardent à être levés. Entre ces deux mondes, le choc culturel n’en finit pas de résonner.

LE PRÉSIDENT PREND LES ÉLUS LOCAUX POUR DES PLOUCS Un responsabl­e d’associatio­n

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Désamour Les tensions s’amplifient entre le président, Emmanuel Macron, qui n’assiste pas, cette année, au congrès de l’Associatio­n des maires de France…
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... et François Baroin, maire de Troyes, qui, lui, a refusé une séance photo avec les élus locaux prévue par l’Elysée.
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Frondeurs Hervé Morin, président de Régions de France (en haut), et Dominique Bussereau, à la tête des départemen­ts de France, ont eu maille à partir avec Edouard Philippe.
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