COMMENT PEINDRE ABSTRAIT?
Par Sailer Etmose, Trad. De L’allemand Et Préfacé Par Catherine Wermester. Éd. Allia, 96 P., 14 €.
15/20
faire trottiner un chien sur une toile aspergée de couleurs, dribbler à l’aide de balles préalablement trempées dans la peinture, poser son chevalet face à un bébé gavé d’épinards, de safran et de compotes de fruits rouges, recouvrir le support de colle à mouches à des endroits stratégiques puis écraser les insectes venus s’y fixer… Une bonne farce? Pas tout à fait. réédité cet automne par les éditions Allia, Comment peindre abstrait ? Une explication simple est un délicieux petit ouvrage, paru en Allemagne au cours de l’année 1958, avec un certain retentissement dans le milieu de l’art européen. En démontrant, à grands renforts d’arguments aussi absurdes que drôlissimes, la possibilité d’endosser, sans savoir-faire aucun, les habits prestigieux de l’artiste, la méthode illustrée raille férocement l’abstractionnisme galopant de l’époque : « Si vous peignez abstrait, on s’arrachera votre compagnie en société. Vous pourrrez organiser des expositions, vous pourrez faire des cadeaux enthousiasmants à vos amis. Personne ne vous comprendra. Le secret qui dès lors vous entourera vous rendra plus désirable que jamais. » S’en suit une savoureuse envolée de techniques en « isme » : canisme, ballisme, infantilisme, néo-pointillisme, férisme (taches de roussi réalisées avec un fer à repasser), oscillisme (lancer de poissons rouges immergés dans la gouache), ventillonnisme (éclaboussures picturales propulsées par ventilateur), ou encore pédalisme (on vous laisse deviner).
Les auteurs de cette leçon en forme de galéjade? Anton Sailer, pseudo d’un historien de l’art germanique dont on sait peu de choses, et Moïse Depond (1917-2003), alias Mose, dessinateur humoristique français, qui fut le génial précurseur des Cabu et autres Plantu. Le tandem anticipe alors, sans le savoir, des formes expérimentales – plus sérieuses! – qui surgiront peu après. Il y aura Yves Klein, ses anthropométries (modèles vivants appliquant sur le support leurs corps enduits de peinture) et son Vent-Paris-Nice (toile fixée sur le toit d’une Citroën lancée à 100 à l’heure sur la nationale 7), mais aussi Claude Viallat et ses empreintes, le groupe nippon Gutaï et ses projections. De quoi jeter le trouble au-delà du rire.