L'Express (France)

ET BOIRE MA VIE JUSQU’À L’OUBLI

- S. B.

Par Cathy Galliègue. Ed. Emmanuelle Collas, 254 p., 18 €.

14/20

sous le déluge d’une crinière en automne se tapit une singulière personne. sang bouillonna­nt contre les crocs-en-jambe du sort, tête en rêves rapportés sur des cahiers. Du genre à se blottir dans un centre naturiste de la région parisienne pour édifier les bases de son premier roman, La nuit, je mens.

A filer en pirogue vers une case mangée par la lune amazonienn­e pour le terminer et articuler les morceaux de sa deuxième oeuvre, Et boire ma vie jusqu’à l’oubli. Cathy Galliègue la Compiégnoi­se s’en est allée vivre en Guyane entre-temps. Ça explique l’Amazonie, pas vraiment ses manies créatrices. Tant mieux, les écrivains ne se déchiffren­t pas, ils se donnent à lire comme on se livre pieds et poings liés.

La nuit, je mens était diaphane et terreux, une Mathilde en couple avec un homme adorable retrouvait en songe les bras d’un amant de jeunesse, jamais effacé, récemment suicidé. La folie rampait, c’était imparfait, mais quand c’était beau, c’était superbe. Les êtres en brouillard, passagers clandestin­s de la douleur, Galliègue a choisi d’en être le porte-voix affectueux.

Et boire ma vie jusqu’à l’oubli est empli de sanglots secs et de bonheurs fauchés net. La mère si divine lorsqu’elle tournoyait dans les kermesses de papier crépon, le coup de foudre pour un moniteur de colo épousé quelques fantasmes plus tard. L’une s’est volatilisé­e quand sa gamine, Beety, avait 10 ans, l’autre est mort dans un accident de voiture. Le chagrin, ça s’arrose. Betty, devenue grande, se torche au whisky tous les soirs. Quatre ans et demi à gorger ses vides de gnôle, le décès de son mari la ramenant à l’abandon maternel. Femme en pièces détachées, ricochant d’une réminiscen­ce à une autre, narratrice d’un récit qui chancelle avec elle autour d’une paire de souliers rouges. Des meurtrissu­res occultées, qui assignent toute une vie à la peur d’aimer, reposent dans ces chaussures d’enfant. Les ravalement­s et les béances de la mémoire sans cesse interrogés, Cathy Galliègue calligraph­ie la fragilité des âmes en arabesques graciles. Au fusain pour les naufrages révoltés de Betty, au lavis pour les étouffades taiseuses du père et du beaupère. L’extrême finesse du tracé l’emportant sur la confusion de la structure. Les émotions tenues le menton haut, prêtes à regarder l’azur en face.

Guide réalisé par Eric Libiot, avec Sandra Benedetti, Letizia Danery, Jérôme Dupuis, Estelle Lenartowic­z, Marianne Payot et Delphine Peras.

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