Le drame de la culture sur ordonnance
Est-ce que ce monde est sérieux ? » interrogeait Francis Cabrel il y a déjà plus de vingt ans. Non, Francis, décidément, il ne l’est pas. Depuis le 1er novembre, au Canada, en plus des sirops contre la toux et des analgésiques, les médecins peuvent prescrire à leurs patients… une visite au musée. Parce que ça fait du bien. Aux psychotiques, aux diabétiques, aux personnes atteintes d’une maladie chronique, à tout le monde en somme. « Je vous mets une dose de Miro au Grand Palais et, si les symptômes persistent, deux cuillers de l’expo sur les patates à la Cité des Sciences. » Soupir.
Pour tenter de donner un sens à cette nouvelle consternante, on peut formuler plusieurs hypothèses consternantes :
1) L’humanité est devenue trop profondément bête
pour expérimenter par elle-même les plaisirs de l’existence. Elle est là, couchée papattes en rond dans son panier, plongée dans une torpeur imbécile. De fins observateurs ont remarqué que l’argument médical est le seul qui lui fasse encore lever une oreille. Un expert en blouse blanche crie le mot « santé ! » et paf, on se met à bouffer du chou kale et à télécharger des applis de running. Si on arrive à convaincre des individus d’ajouter des pétales de brocolis dans leur café – j’en ai déjà parlé, je sais (dans L’Express n° 3514) –, on peut bien les traîner devant La Joconde au motif que « l’exposition à la culture permet d’augmenter le taux de sérotonine et de cortisol » (sic).
2) Nous faisons face à une persécution sournoise.
Chaque année ou presque, une étude hautement scientifique vient nous expliquer qu’il faut faire l’amour trois fois par semaine pour réduire les risques d’infarctus, de cancers du sein et de la prostate, et rester jeunes. Trois fois par semaine. Et maintenant, en plus, il faut aller au musée ? Toutes ces injonctions impossibles à honorer dans le même temps n’ont qu’un but : nous faire culpabiliser d’être une bande d’incultes gras du bide et mou de la libido… Une fois que nous avons bien pris conscience de notre incurie, et convaincus que même le médecin ne peut plus rien pour nous, il reste une solution : dépenser 17 euros dans un livre de développement personnel. C’est le conseil délivré par la Sécurité sociale anglaise. La NHS a dressé une liste de livres à visée thérapeutique, parmi lesquels Le Manuel du bien-être ou Comment arrêter d’angoisser. Une façon élégante d’encourager les dépressifs à se démerder tout seuls. Parmi les recommandations, on trouve également des romans et de la poésie validés par des professionnels de la santé. Surtout pas d’automédication, vous risqueriez de lire Belle du seigneur et de vous foutre en l’air.