« Les gilets jaunes, la première colère fiscale 2.0 »
Alexis Spire, sociologue, directeur de recherche au CNRS, vient de publier, aux éditions du Seuil, Résistances à l’impôt, attachement à l’Etat. Enquête sur les contribuables français.
l’express Le ras-le-bol fiscal qui se fait entendre aujourd’hui s’accompagne-t-il d’une montée de l’incivisme fiscal ?
Alexis Spire Pour l’instant, il n’y a aucun appel à la grève des impôts. Mais il faut bien distinguer contestation politique et civisme fiscal. Dans notre étude, plus de 80 % des enquêtés s’accordent à dire que le niveau des prélèvements est trop élevé, mais on sait par ailleurs que 95 % des Français remplissent leurs obligations fiscales. En Bretagne, par exemple, il existe toute une tradition d’opposition politique à l’impôt et à l’Etat – rappelez-vous la figure d’Alexis Gourvennec dans les années 1960 –, mais le civisme est l’un des plus élevés.
Qu’est-ce qui différencie la fronde des gilets jaunes des autres mobilisations anti-impôt que la France a connues?
A. S. Que ce soit la révolte antifiscale des commerçants derrière Poujade dans les années 1950, celle des artisans autour de Nicoud dans les années 1970, celle des camionneurs contre la hausse des prix des carburants dans les années 1990, ou encore celle des patrons de start-up rebaptisés « pigeons » en 2012, toutes ces mobilisations contre l’impôt ont été organisées par un même corps de métier. Avec la multiplication des réseaux sociaux, il devient possible de se mobiliser sans passer par des organisations professionnelles. En 2016, deux manifestations ont pu voir le jour à Paris contre le régime social des indépendants, fédérant des professions très différentes. Le mouvement des gilets jaunes est l’aboutissement de cette évolution : c’est la première contestation fiscale 2.0 de grande ampleur.
Pourquoi la colère s’est-elle cristallisée sur les taxes écolo?
A. S. La hausse du prix des carburants n’est qu’une étincelle. Cela fait des années que l’exaspération face à l’impôt monte, notamment dans les classes populaires. Mais la voiture fédère bien au-delà : elle est à la fois le seul moyen de se déplacer en l’absence d’autres transports et le symbole de liberté par opposition aux contraintes étatiques.