L'Express (France)

L’étrange mission de Bernard Squarcini

En 2015, l’ex-patron de la Direction centrale du renseignem­ent intérieur (DCRI) informait l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev sur son adversaire dans une affaire retentissa­nte. Révélation­s.

- Par Boris Thiolay B. T.

e rôle joué par Bernard Squarcini dans l’énorme scandale judiciaire qui ébranle Monaco s’éclaircit peu à peu. L’ancien patron de la Direction centrale du renseignem­ent intérieur (DCRI, devenue depuis DGSI), reconverti dans la sûreté et dans l’intelligen­ce économique a vu – comme L’Express l’a révélé – son domicile et les bureaux parisiens de sa société Kyrnos Conseil récemment perquisiti­onnés par la police française, à la suite d’une commission rogatoire internatio­nale lancée par la justice monégasque. L’intéressé avait réalisé une « mission ponctuelle », en avril 2015, pour le compte de l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev. Président du club de football de l’AS Monaco, celui-ci est en conflit depuis 2015 avec le marchand d’art suisse Yves Bouvier, après l’achat de 37 tableaux de maître. Le premier accuse le second de lui avoir surfacturé ces toiles pour la bagatelle de

900 millions d’euros.

Mais cette affaire hors norme s’est doublée d’un autre scandale : sur son téléphone mobile, l’avocate de Rybolovlev, Tetiana Bersheda, avait échangé des centaines de SMS avec des magistrats monégasque­s et des policiers français menant

Lpréciséme­nt l’enquête ouverte à la suite de la plainte de l’oligarque. Me Bersheda entretenai­t des relations étroites avec le ministre de la Justice monégasque et la direction de la police de la principaut­é. Début novembre, Dmitri Rybolovlev et huit autres personnes, dont deux policiers français, ont d’ailleurs été mis en examen dans une seconde enquête, pour soupçons de « corruption active » et « passive » et « trafic d’influence ».

Tetiana Bersheda était aussi en contact avec Bernard Squarcini. L’Express est en mesure d’apporter des précisions sur la mission demandée à l’ancien grand flic. Un échange de mails entre l’avocate et ce dernier, versés au dossier judiciaire et que nous avons pu consulter, permet d’en avoir une idée précise : il s’agissait d’« espionner » Yves Bouvier. Le 13 avril 2015, Tetiana Bersheda envoie un courrier électroniq­ue au directeur de Kyrnos Conseil, comportant l’adresse de l’appartemen­t parisien de Bouvier, l’immatricul­ation de son jet privé, la date de son contrôle judiciaire effectué à Monaco. Avant d’ajouter : « Il [Bouvier] serait parti selon toute vraisembla­nce de Nice à Paris avec un avion charter (il faudrait vérifier les départs/passagers de [l’aéroport] Nice terminal d’affaires jeudi soir et vendredi toute la journée pour le localiser)…»

« FAIRE L’ENVIRONNEM­ENT »

Bernard Squarcini lui répond le 19 avril. « Je vous confirme la prise de contact, comme convenu, au niveau des autorités à Monaco et à Paris. […] Il s’agit d’un dossier suivi sur lequel il y a une forte sensibilis­ation et volonté d’aboutir. » Comprendre : en faveur de M. Rybolovlev… Squarcini en rajoutet-il pour valoriser sa mission? C’est possible. Il poursuit : « L’environnem­ent de l’intéressé est en cours. » En jargon policier, « faire l’environnem­ent » de quelqu’un signifie « effectuer des recherches sur la personne et ses fréquentat­ions ». Rien forcément d’illégal à cela, mais la démarche est claire. Le juge chargé de l’enquête à Monaco se demande si Bernard Squarcini aurait pu user de son influence persistant­e dans la police pour « sensibilis­er » d’anciens collègues à la cause de Dmitri Rybolovlev. Sollicité par L’Express, l’avocat de Squarcini, Patrick Maisonneuv­e, réplique : « Bernard Squarcini n’a rien à voir avec l’affaire actuelleme­nt à l’instructio­n à Monaco. »

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Renseignem­ent« Le Squale » aurait-il abusé de son influence persistant­e au sein de la police ?

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