Dépression à Hollywood
égende vivante des lettres américaines, ses romans ont influencé la culture hippie, surtout en Californie et à Los Angeles, où elle fait figure d’icône. A 84 ans, la grande Joan Didion se fait de plus en plus discrète et publie peu. Une nouvelle traduction de son chef-d’oeuvre, Mauvais Joueurs (publié pour la première fois en France en 1973 sous le titre Maria avec et sans rien), nous replonge dans son oeuvre importante. Parfois présenté un peu vite comme un « roman sur le vide », le récit se déroule dans les vapeurs éthyliques et libertaires du Hollywood de la fin des années 1960. Maria, une actrice d’une grande beauté sur le déclin, traverse une profonde dépression. A travers de courts chapitres bâtis sur des jeux d’implicite et le retour d’infimes motifs, Didion la suit dans ses errances et dissèque la dureté de ses états mentaux. Séparée de sa fille de 4 ans, divorcée d’un réalisateur qui l’a obligée à avorter de leur second enfant, Maria semble n’accorder aucune importance aux choses de la vie ou aux gens. Déchirés, tous les liens qui l’ancraient au réel flottent désormais autour d’elle comme des algues mortes. Ses fréquentations la maintiennent dans l’alcool et les barbituriques, autant de poisons qui instillent une grande misère intellectuelle et affective. Son histoire nous parvient par bribes composites depuis la clinique psychiatrique où elle sera finalement internée. Magistrale chronique d’une déliquescence existentielle, Mauvais Joueurs dit le calvaire de ne plus parvenir à vivre sans réponse à la question du sens de la vie. Densifiant le flegme et le néant, la langue tire sa puissance de son aspect à la fois alangui et strident. Séduisante, mais vénéneuse tel ce serpent tropical qui surgit plusieurs fois. Entre autodestruction, traumas et mélancolie, le décor des clinquantes villas laisse ici entrevoir son extrême violence, en premier sur le corps des femmes.
LMAUVAIS JOUEURS
PAR JoAn DiDion, tRAD. DE L’AnGLAiS (ÉtAtS-UniS) PAR JEAn RoSEntHAL. GRASSEt, 224 P., 19 €.