L'Express (France)

Un casse presque parfait

- LE CHOIX CINÉ D’ÉRIC LIBIOT Marier des univers différents au cinéma, 15/20 Grand bien vous fasse !

c’est comme associer sucré et salé en cuisine : il faut toujours essayer, on ne sait jamais. Le truc peut être immangeabl­e ou regardable. Banal, jamais. Surprenant, souvent. Trois étoiles, possible. C’est ce qui arrive aux Veuves de Steve McQueen, que le cinéaste a coécrites avec Gillian Flynn. Le grand film n’est pas loin – les femmes de truands tués lors d’un casse se lancent elles-mêmes dans un braquage.

D’un côté, il y a Steve McQueen. Artiste contempora­in célébré, passé au cinéma avec Hunger, portrait sec et réussi du prisonnier et militant irlandais Bobby Sands, puis Shame, plongée radicale dans les noirceurs de l’addiction sexuelle, avant d’être oscarisé pour 12 Years a Slave, vie et destin d’un esclave noir aux Etats-Unis à l’époque de la guerre de Sécession. Le cinéaste est brillant, précis, abordant les sujets sans craindre de perturber le public par une mise en scène sèche et frontale, en adéquation avec son récit ; en tout cas jusqu’à 12 Years a Slave, son film le moins réussi parce qu’il tombe parfois dans la facilité romanesque, l’oscar en est la preuve.

De l’autre, on trouve la romancière Gillian Flynn, dont le plus grand succès, Les Apparences, a été adapté au cinéma par David Fincher (Gone Girl). Elle fait partie d’une nouvelle génération de polardeux américains qui ont délaissé la politique (années 1930-1970) ou les fantasmes des serial killers (1980-1990) pour se pencher sur les angoisses d’un quotidien qui vacille. C’est parfois un peu trop fabriqué pour être réaliste mais ça fonctionne souvent.

Voilà donc Les Veuves (ah ben quand même…), qui marient l’un et l’autre : le formalisme et les péripéties, l’esthétisme et la mécanique scénaristi­que, le choc des images et le poids du suspense. Il faut reconnaîtr­e l’ambition de porter haut le polar, souvent réduit à un produit normé. Dans la première partie des Veuves, c’est McQueen qui gagne, tant la mise en scène élève le niveau, à ce point qu’on espère le chef-d’oeuvre, frôlé en quelques séquences ambitieuse­s – mise en place brillante, ambiance tendue, mosaïque de personnage­s, tableau social, politique et intime... Petit à petit, Flynn joue des coudes pour afficher une intrigue qui frôle, elle, le prévisible à force de tout expliciter. Dommage.

Mais l’expérience a été profitable et le film surclasse tout de même beaucoup de ses camarades de genre. Ouf.

LES VEUVES

DE STEVE MCQUEEN. 2 Retrouvez sur

H10. le vendredi, dans l’émission de 10 à 11 heures.

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