L'Express (France)

Tomber dans la vape

- Par Elodie Emery Chroniqueu­se

Avec la cigarette électroniq­ue, les anciens fumeurs font un pari sur l’avenir, dont on peut saluer l’audace. Ils ne connaissen­t pas les conséquenc­es de leur nouvelle pratique sur leur santé, mais misent sur le fait que « ça ne peut pas être pire que la clope »… Est-ce si sûr ? Il est permis d’en douter.

Le converti à la « CE »,

comme disent les jeunes – ils le disent vraiment, je les ai entendus –, subit des humiliatio­ns qui ne peuvent pas être sans conséquenc­es psychologi­ques. Il endure l’enthousias­me juvénile du vendeur de produit (« e-liquide », dans le jargon), qui insiste pour lui faire goûter son nouveau parfum « petit-beurre ». Et, une fois la vente bouclée, lui lance cette phrase terrible : « Bonne journée… et bonne vape ! » Plus rien ne sera jamais comme avant. Le « vapoteur » a basculé dans une autre dimension, il le sait.

Comme il craint de tomber en panne,

il se trimballe partout avec son chargeur et ses piles de rechange. Il est chargé d’environ 1 kilo de matériel, auquel il faut ajouter le poids de l’e-cigarette elle-même. Plus elle a d’autonomie, plus elle est grosse. Résultat, il a troqué sa toux de fumeur contre une tendinite. Car il ne lâche jamais son joujou, jamais, jamais. La marque de ses doigts est incrustée sur l’objet, qui est d’une saleté répugnante. Lorsqu’il l’égare, le monde s’arrête de tourner. L’e-fumeur commence par chercher sous le canapé, avant d’en retirer tous les coussins avec une fébrilité croissante. Un enfant de 11 mois fait preuve de plus de dignité quand il fait tomber sa tétine.

Le vapoteur

soutient que les bouffées de vapeur qu’il inflige à son entourage ne sentent rien, preuve que le sevrage tabagique ne lui a pas rendu son odorat. Souffrant sans le savoir du syndrome de Stockholm, il veut absolument vous faire essayer sa machine. Lorsque, inévitable­ment, vous vous étouffez, il éclate d’un rire sadique.

Quand deux fumeurs d’e-cigarettes se rencontren­t,

ils comparent leurs engins, les soupèsent, tètent un peu pour tester la qualité du nuage.

« Elle tire bien ? » s’enquièrent-ils, comme s’il s’agissait d’une petite cheminée portative.

Et enfin : « T’es à combien, toi ? » La question fait référence au taux de nicotine dans le produit. On aurait presque fini par oublier que le but initial était tout de même d’échapper aux poisons contenus dans la cigarette traditionn­elle. Souvent, c’est là que le bât blesse. Après cinq ans de vape acharnée, certains achètent toujours les liquides les plus chargés.

« Oui, mais au moins je n’ai pas le goudron », se défendent-ils. Ni les plumes, c’est vrai.

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