L'Express (France)

G20 : LA SOLITUDE PLANÉTAIRE D’EMMANUEL MACRON

- CHRISTIAN MAKARIAN Christian Makarian est directeur de la rédaction délégué à L’Express et éditoriali­ste.

Ses débuts furent si prometteur­s qu’on était en droit de s’attendre à une nouvelle donne pour la France. Après tout, au milieu des ruines du multilatér­alisme subsistaie­nt de beaux restes ; il existait un chemin étroit, dont Emmanuel Macron pouvait devenir l’éclaireur sur la scène mondiale. La carte méritait d’être jouée, et le dynamique président a su, un temps, laisser penser qu’il pouvait écarter les murs. Or, en plusieurs circonstan­ces, et le G20 de Buenos Aires en est une démonstrat­ion de plus, il est apparu évident que l’espace de respiratio­n s’était refermé. L’Amérique a repris la main sur le rythme du monde.

Deux fois, à la tribune des Nations unies, Macron a pris la parole après le maverick américain pour chasser les miasmes de l’unilatéral­isme tonitruant et défendre sa propre voie, la seule qui laisse une petite place à son pays, et à l’Europe. Las ! après avoir joué la carte de la complicité compétitiv­e avec Donald Trump et tenu la dragée haute à Vladimir Poutine, il doit déchanter.

Dans cette nouvelle phase, qu’il affronte bien seul, il se heurte à la dure réalité d’un monde qui a perdu toutes ses illusions en matière de multilatér­alisme, tandis que les sirènes des régimes autoritair­es rencontren­t un écho grandissan­t. Pire encore, les humeurs changeante­s de Donald Trump, ses foucades, ses déclaratio­ns contradict­oires (face à la Chine, à la Russie, à l’Union européenne, à l’Arabie saoudite…) reviennent à faire dépendre l’ordre du monde d’un seul homme, au profil fantasque, ce qui relativise fortement l’importance des cercles d’experts ou de sherpas, ces grands manitous chargés des communiqué­s lénifiants à l’issue des rencontres internatio­nales.

On se souvient de la façon dont Trump avait renié le communiqué final du G7 de La Malbaie (Canada), en juin… Par ses affirmatio­ns intempesti­ves et ses prises de position imprévisib­les, il est devenu le sujet central, paradoxale­ment déterminan­t, des relations internatio­nales dont il n’a cure, le facteur de stress des cénacles diplomatiq­ues. De ce très triste point de vue, l’Amérique a repris la main sur le rythme du monde, mais dans une version de déconstruc­tion. Macron s’est-il donc tant trompé? A la vérité, son intuition initiale reste juste. Mais deux éléments essentiels lui font défaut.

D’abord, l’Europe, cruellemen­t absente, ou disparate, alors qu’il compte sur elle pour étayer sa stratégie planétaire. Isolée, la France ne peut rien. Seul un Vieux Continent uni, à supposer qu’il puisse être rassemblé derrière le président français, serait susceptibl­e de peser suffisamme­nt pour faire contrepoid­s aux outrances de Trump, aux provocatio­ns de Poutine (déterminé, comme il vient encore de le démontrer en mer d’Azov) et aux rodomontad­es des grands leaders « illibéraux » (Xi Jinping, Narendra Modi…). Son bref échange avec le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, en marge du G20 de Buenos Aires, est une illustrati­on de l’étroitesse et de la fragilité de la position française face aux dérives du régime saoudien.

Ensuite, Macron ne peut compter sur aucun leader planétaire majeur qui, issu des anciens pays émergents, se montrerait franchemen­t convaincu de l’avenir du multilatér­alisme. Il manque objectivem­ent d’appuis dans le reste du monde à l’heure où le Brésil s’en remet à son nouveau président populiste, où le chef d’Etat turc se révèle incontrôla­ble, où le nouveau président du Mexique n’offre pas de certitudes (voir page 66). A l’opposé, Macron ne trouve que des tenants d’un chacun pour soi qui achève de faire le jeu de l’unilatéral­isme. D’autant qu’il n’a cessé dans ses discours de cristallis­er les deux blocs, progressis­tes (avec luimême comme héraut) contre nationalis­tes (la « lèpre »), laissant ainsi un fossé se creuser.

C’est là que le bât blesse ; car presque rien dans l’ordre du monde ne va dans le sens voulu par Macron.

A la vérité, deux éléments essentiels font défaut à son intuition initiale

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