GILETS JAUNES : LE PROCÈS EN ILLÉGITIMITÉ ?
En continu sur les chaînes d’information, des images de chaos se succèdent. A Paris, ce sont des barricades, des voitures incendiées, des magasins pillés par des hordes de casseurs qui sèment la désolation sur leur passage. Et, partout en France, une violence de moins en moins sourde que la moindre étincelle pourrait faire exploser (voir notre dossier page 48). Les commentateurs en restent interdits, sidérés de constater que leurs plus sombres pronostics étaient en deçà de la réalité. Et les pouvoirs publics, tétanisés à l’idée de se voir reprocher de n’avoir pas su anticiper, condamnent avec force tout en prenant soin de montrer qu’ils ne confondent pas fauteurs de troubles et gilets jaunes.
Ici n’est pas le lieu de démêler le vrai du faux. Et, à vrai dire, l’essentiel n’est pas de savoir si des casseurs se déguisent en gilets jaunes ou si, à l’inverse, la colère de certains gilets jaunes a atteint un tel niveau qu’ils se transforment en casseurs.
Le plus préoccupant est de comprendre pourquoi, après trois semaines de contestation, aucun dialogue n’a pu être établi.
On conclurait un peu vite que la faute en revient à l’exécutif. Des annonces ont été faites. Des rendez-vous ont été organisés : avec le ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie, puisque c’est la flambée du prix du diesel qui a mis le feu aux poudres ; avec le Premier ministre, ensuite. Et le président de la République, réprouvant depuis Buenos Aires les exactions de samedi, a laissé entendre qu’il était à l’écoute de la « manifestation pacifique d’une colère légitime ».
Peine perdue ! Car, pour que s’engage un dialogue, encore faut-il qu’il y ait des interlocuteurs et que ceux-ci soient considérés comme légitimes. Or là est sans doute le plus grave : le mouvement des gilets jaunes est avant tout un gigantesque procès en illégitimité. Illégitimité de ceux qui gouvernent, bien sûr ; c’est l’aspect le plus classique. La colère des gilets jaunes serait d’abord motivée par le sentiment de ne pas être entendus. Le discours et le diagnostic sont presque convenus : fracture entre gouvernants et gouvernés, déconnexion entre le peuple et les élites. Analyses spécieuses et rumeurs absurdes les alimentent, depuis celle qui voudrait prendre en compte les abstentions et les votes blancs et nuls pour démontrer que le président de la République n’a pas obtenu de majorité jusqu’à l’instrumentalisation d’un décret – dont le Conseil d’Etat a pourtant confirmé la légalité – pour expliquer que la France n’aurait plus de Constitution…
Illégitimité aussi, la chose est plus inédite, de ceux qui représentent. Dans la ligne de mire, évidemment, les parlementaires, et ce quand bien même les dernières élections les ont, il y a un an et demi à peine, considérablement renouvelés. Idem des corps intermédiaires – partis politiques et syndicats mêlés –, discrédités lorsqu’ils s’essaient, c’est leur rôle, à canaliser les opinions et à être des porte-voix. Et, le plus inquiétant, illégitimes aussi ceux qui pourtant avaient été présentés par la coordination nationale des gilets jaunes comme leurs « huit représentants » et qui, lorsqu’il s’est agi pour eux de dialoguer au nom des représentés, ont été aussi sec délégitimés, et même menacés.
La crise n’est donc pas tant sociale que démocratique. Et elle est profonde puisque ceux qui veulent être entendus dénient à quiconque la légitimité de s’exprimer en leur nom au motif que les représentants ne sont pas ceux qu’ils représentent. L’urgence est évidemment de mettre fin aux violences, et l’exécutif a toute légitimité pour rétablir l’ordre. Mais il aurait tort de penser que, par cela seul, il gagnera le procès dont la démocratie représentative est la véritable accusée.
Dans leur ligne de mire, ceux qui gouvernent, mais aussi ceux qui les représentent