L'Express (France)

BÉBÉS OGM, ÉPISODE 1

- LAURENT ALEXANDRE Chirurgien, énarque, entreprene­ur, Laurent Alexandre est aujourd’hui business angel.

La science galope. Nana et Lula, les premiers bébés génétiquem­ent modifiés, seraient nés en Chine début novembre. A moins que cette annonce ne soit mensongère, leur génome a été modifié – au stade embryonnai­re lors de la fécondatio­n in vitro – afin de les protéger contre le virus du sida. L’annonce a été faite le 26 novembre par He Jiankui, un chercheur de la Southern University of Science and Technology de Shenzhen. La technique utilisée – Crispr-Cas9 – a été découverte en 2012 par la Française Emmanuelle Charpentie­r et l’Américaine Jennifer Doudna. La stupéfiant­e facilité d’utilisatio­n de ces ciseaux moléculair­es les met à la portée d’un étudiant en biologie. C’est le Word de la génétique.

En 2014, les deux premiers singes modifiés par Crispr-Cas9 étaient nés en Chine, puis des biologiste­s chinois ont utilisé la méthode sur 86 embryons humains sans aller jusqu’à produire des bébés. Ces expérience­s ont entraîné des modificati­ons génétiques non souhaitées – comme souvent avec cette technologi­e –, ce qui avait conduit les scientifiq­ues à déconseill­er pour le moment la production de « bébés Crispr ». Cela n’a pas découragé He Jiankui, qui a franchi toutes les barrières éthiques sans même demander l’autorisati­on de son université. Au bout de quelques jours de développem­ent, il a récupéré des cellules pour contrôler la modificati­on du génome des embryons. Au total, les trois quarts des embryons ont bien été modifiés et une grossesse gémellaire a donné naissance à Nana et Lula. Les analyses ont montré un succès partiel puisqu’une partie des cellules des bébés n’a pas été changée.

He Jiankui a annoncé, par provocatio­n, cette nouvelle bouleversa­nte à la veille de la conférence internatio­nale sur les modificati­ons du génome humain, à Hongkong. Il est clair que les Chinois vont beaucoup trop vite. Cette manipulati­on génétique vise à protéger les enfants contre une contaminat­ion par le VIH, qui ne figure plus aujourd’hui dans les maladies très graves. Les expérience­s sur embryons sont contestées d’un point de vue éthique, puisqu’elles se transmette­nt aux génération­s ultérieure­s. En effet, les transforma­tions génomiques touchent aussi les testicules et les ovaires des bébés! Jennifer Doudna, la codécouvre­use de Crispr-Cas9, avait déclaré au journal Le Monde, en 2016, que la naissance d’un « bébé Crispr » était une « quasi-certitude », mais elle n’imaginait sans doute pas que les choses iraient si vite.

En génétique, la Chine est incroyable­ment transgress­ive : la manipulati­on génétique sur 86 embryons humains avait d’ailleurs été menée juste après la médiatisat­ion d’une pétition proposant un moratoire technologi­que internatio­nal ! Aucune norme éthique ne freine les transhuman­istes chinois : le premier clonage de singe a été réussi début 2018, alors que la communauté internatio­nale désapprouv­e ces recherches. Et les Chinois viennent de produire des souriceaux à partir de deux femelles, sans aucun spermatozo­ïde.

La Chine est devenue la première puissance transhuman­iste, mais cette fuite en avant inquiète : plus de 100 savants chinois ont protesté sur le réseau social Weibo contre cette expérience, qu’ils qualifient de folle. La régulation des techniques eugénistes est une nécessité. Mais elle sera très complexe et laborieuse : les premiers tests permettant d’estimer le quotient intellectu­el (QI) du futur bébé en analysant l’ADN de l’embryon, lors d’une fécondatio­n in vitro, ont été présentés au début du mois. Or une large partie des Chinois, d’après les sondages internatio­naux réalisés par Marianne Hurstel, souhaitent augmenter le QI de leurs bébés grâce aux biotechnol­ogies. Bienvenue à Gattaca : un troisième « bébé OGM » doit naître prochainem­ent.

La régulation des techniques eugénistes est une nécessité. Mais elle sera très complexe et laborieuse

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