OÙ EST LA GAUCHE ?
La tragique situation actuelle en France a bien des causes. Et bien des responsables. Dans le gouvernement d’aujourd’hui et dans ceux d’hier, qui, tous, n’ont pas su prendre la mesure du grand désarroi et de la colère des habitants de la « diagonale du vide » et des oubliés de la République.
Je voudrais ici m’attacher à un seul de ces responsables, et non des moindres : la gauche. Elle n’a pas réussi, depuis des décennies, à reconstruire un chemin doctrinal, que plusieurs ont pourtant esquissé à leur façon (avec beaucoup d’autres, j’ai tenté d’y apporter ma part, depuis plus de trente ans, avec plusieurs livres, dont Fraternités et La Voie humaine, qui restent pour moi d’une grande actualité).
En particulier, la gauche n’a pas réussi en 2017 à proposer un programme sérieux et unique qui lui aurait permis de garder le pouvoir. Et, depuis, elle n’a pas été en situation d’écouter monter les colères, de les représenter, ni de proposer à temps, au Parlement et ailleurs, de façon cohérente, globale et convaincante, des amendements aux taxes sur l’énergie que proposait le gouvernement, pour que l’amélioration de l’environnement et celle de la justice sociale restent compatibles, ce qui est parfaitement possible.
Un programme commun de gauche aujourd’hui devrait revendiquer le rétablissement de l’impôt sur les grandes fortunes (avec des clauses d’exonération en cas d’investissement dans des entreprises écologiques ou sociales), une mise à plat de la structure du budget, en dépenses comme en recettes, de façon à réduire significativement les unes et les autres.
Il devrait revendiquer une hausse du smic, et une façon d’en compenser la charge sur les entreprises exportatrices. Il devrait aussi proposer de généraliser et d’augmenter la prime d’activité, qui permet de rehausser les plus bas revenus. Il devrait encore proposer des mesures pour que ceux qui n’en ont pas les moyens évoluent progressivement vers un mode de vie approprié aux exigences du changement climatique. Il serait absurde, scandaleux, de demander aux plus pauvres de vivre conformément aux standards d’une vie écologique. Il faut leur en fournir, progressivement, les moyens. Enfin, un programme de gauche devrait proposer d’adapter la fiscalité des entreprises à leur comportement écologique et social.
Un programme de gauche devrait aussi proposer de nouvelles formes de consultation, de dialogue et d’échange entre citoyens. Car il appartient à la gauche, porteuse des traditions de la social-démocratie et supposée être à l’avant-garde des batailles écologiques, d’être aussi à l’avant-garde de ces innovations. Elle pourrait, par exemple, proposer d’installer partout en France des assemblées de citoyens tirés au sort, pour un an, qui donneraient leur avis sur tous les textes et leur mise en oeuvre, et qui seraient même en charge de la fixation des principes de distribution des aides à apporter aux plus démunis.
Elle pourrait enfin proposer d’utiliser largement les nouvelles technologies qui, sous le nom de « civic tech », permettent maintenant de faire entendre en direct la voix des citoyens, de façon constructive, au-delà des invectives des réseaux sociaux.
BElle n’a pas été en situation d’écouter monter les colères
eaucoup de ces mesures, mais pas toutes, se trouvaient dans les divers programmes des candidats de gauche aux dernières élections (présidentielle et législatives). Oui, mais voilà : leur division les a conduits à leur perte. Ces hommes ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Il leur appartient maintenant de s’unir pour les prochaines échéances, les élections européennes, s’ils veulent vraiment servir la cause du peuple, et pas seulement celle de leurs partis. Naturellement, un tel programme devrait aussi condamner sans réserve ni ambiguïté, les honteuses violences des dernières semaines. C’est sans doute une des dernières chances de la classe politique de se sauver, de sauver les institutions, d’établir un nouveau contrat social, et d’éviter qu’une anarchie gâche les chances de notre magnifique pays.