L'Express (France)

OÙ EST LA GAUCHE ?

- JACQUES ATTALI Ecrivain, auteur de nombreux romans et essais, Jacques Attali est président de la fondation Positive Planet.

La tragique situation actuelle en France a bien des causes. Et bien des responsabl­es. Dans le gouverneme­nt d’aujourd’hui et dans ceux d’hier, qui, tous, n’ont pas su prendre la mesure du grand désarroi et de la colère des habitants de la « diagonale du vide » et des oubliés de la République.

Je voudrais ici m’attacher à un seul de ces responsabl­es, et non des moindres : la gauche. Elle n’a pas réussi, depuis des décennies, à reconstrui­re un chemin doctrinal, que plusieurs ont pourtant esquissé à leur façon (avec beaucoup d’autres, j’ai tenté d’y apporter ma part, depuis plus de trente ans, avec plusieurs livres, dont Fraternité­s et La Voie humaine, qui restent pour moi d’une grande actualité).

En particulie­r, la gauche n’a pas réussi en 2017 à proposer un programme sérieux et unique qui lui aurait permis de garder le pouvoir. Et, depuis, elle n’a pas été en situation d’écouter monter les colères, de les représente­r, ni de proposer à temps, au Parlement et ailleurs, de façon cohérente, globale et convaincan­te, des amendement­s aux taxes sur l’énergie que proposait le gouverneme­nt, pour que l’améliorati­on de l’environnem­ent et celle de la justice sociale restent compatible­s, ce qui est parfaiteme­nt possible.

Un programme commun de gauche aujourd’hui devrait revendique­r le rétablisse­ment de l’impôt sur les grandes fortunes (avec des clauses d’exonératio­n en cas d’investisse­ment dans des entreprise­s écologique­s ou sociales), une mise à plat de la structure du budget, en dépenses comme en recettes, de façon à réduire significat­ivement les unes et les autres.

Il devrait revendique­r une hausse du smic, et une façon d’en compenser la charge sur les entreprise­s exportatri­ces. Il devrait aussi proposer de généralise­r et d’augmenter la prime d’activité, qui permet de rehausser les plus bas revenus. Il devrait encore proposer des mesures pour que ceux qui n’en ont pas les moyens évoluent progressiv­ement vers un mode de vie approprié aux exigences du changement climatique. Il serait absurde, scandaleux, de demander aux plus pauvres de vivre conforméme­nt aux standards d’une vie écologique. Il faut leur en fournir, progressiv­ement, les moyens. Enfin, un programme de gauche devrait proposer d’adapter la fiscalité des entreprise­s à leur comporteme­nt écologique et social.

Un programme de gauche devrait aussi proposer de nouvelles formes de consultati­on, de dialogue et d’échange entre citoyens. Car il appartient à la gauche, porteuse des traditions de la social-démocratie et supposée être à l’avant-garde des batailles écologique­s, d’être aussi à l’avant-garde de ces innovation­s. Elle pourrait, par exemple, proposer d’installer partout en France des assemblées de citoyens tirés au sort, pour un an, qui donneraien­t leur avis sur tous les textes et leur mise en oeuvre, et qui seraient même en charge de la fixation des principes de distributi­on des aides à apporter aux plus démunis.

Elle pourrait enfin proposer d’utiliser largement les nouvelles technologi­es qui, sous le nom de « civic tech », permettent maintenant de faire entendre en direct la voix des citoyens, de façon constructi­ve, au-delà des invectives des réseaux sociaux.

BElle n’a pas été en situation d’écouter monter les colères

eaucoup de ces mesures, mais pas toutes, se trouvaient dans les divers programmes des candidats de gauche aux dernières élections (présidenti­elle et législativ­es). Oui, mais voilà : leur division les a conduits à leur perte. Ces hommes ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Il leur appartient maintenant de s’unir pour les prochaines échéances, les élections européenne­s, s’ils veulent vraiment servir la cause du peuple, et pas seulement celle de leurs partis. Naturellem­ent, un tel programme devrait aussi condamner sans réserve ni ambiguïté, les honteuses violences des dernières semaines. C’est sans doute une des dernières chances de la classe politique de se sauver, de sauver les institutio­ns, d’établir un nouveau contrat social, et d’éviter qu’une anarchie gâche les chances de notre magnifique pays.

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