L'Express (France)

En quête de père

Gabrielle est née d’un don de sperme anonyme. Elle a retrouvé son géniteur, grâce à un test ADN acheté sur Internet.

- Par Elodie Emery. Illustrati­ons : Emmanuel Polanco

n éclairage tamisé, un chat qui s’étire, un mot doux sur le mur signé « Maman ». Rien, chez Gabrielle*, ne trahit son cataclysme intérieur. Pourtant, à 28 ans, elle est en passe de retrouver l’homme qui, en donnant son sperme, a permis son existence. Et c’est un test ADN, acheté en trois clics sur Internet, qui a tout changé : « En une semaine, j’en ai appris plus sur mes origines qu’en vingt ans. »

Gabrielle n’était pourtant jamais censée avoir accès à cette informatio­n. En France, comme dans beaucoup d’autres pays, les dons de gamètes sont réalisés sous le sceau de l’anonymat. Les individus qui en sont issus ignorent la provenance de 50 % de leur héritage génétique et sont tenus de l’accepter docilement. La règle pourrait néanmoins bientôt changer puisque, le 25 septembre dernier, le Comité consultati­f national d’éthique s’est prononcé en faveur d’un accès à une liste de traits caractéris­tiques du donneur – ou de la donneuse, dans le cas d’un don d’ovocytes –, tels que sa profession ou encore les raisons qui l’ont poussé à accomplir ce geste. Pas son nom. « C’est une avancée pour les enfants à naître. Mais rien n’est prévu pour tous ceux déjà nés », regrette Magali Brès, de l’associatio­n PMAnonyme, qui milite pour « le droit aux origines ». Légalement, ceux-là ne sont même pas autorisés à chercher leur donneur. Dans les faits, la rébellion est en marche.

Pour une centaine d’euros, il est donc désormais possible de faire réaliser des tests ADN sans quitter son

Usalon, simplement en crachant dans un tube à essai. Des milliers de curieux ont tenté l’expérience, tout contents d’apprendre qu’ils avaient 15 % de sang espagnol ou de lointaines origines scandinave­s. Un succès exponentie­l dont on n’a pas fini d’évaluer les conséquenc­es. « Il suffirait que 2 % de la population fasse un test pour que l’on puisse retrouver n’importe qui, explique Magali Brès. On pourra bientôt identifier une mère ayant accouché sous X, un donneur de sperme, un enfant né d’un adultère il y a trois génération­s et même un meurtrier [NDLR : c’est arrivé aux Etats-Unis]. On peut s’en réjouir ou le déplorer. Ce qui est certain, c’est que c’est une révolution. » Pour les enfants nés d’une inséminati­on avec donneur (IAD), ces tests n’ont rien de récréatifs ; ils sont l’outil qui leur permettra peut-être d’enfin lever le voile sur leurs origines.

EN FRANCE, LES ENFANTS NÉS D’UN DON SERAIENT 70000

Gabrielle se remémore le jour où elle a appris qu’elle n’était pas la fille biologique de son père. Enfant unique, elle vit avec ses parents à Quimper, en Bretagne. « Quand j’avais 7 ans, ma mère m’a fait une annonce solennelle : “Demain, j’aurai quelque chose d’important à te dire.” » Le jour suivant, la fillette se réveille à l’aube, excitée comme au matin de Noël. La légende dit que Gabrielle aurait affirmé avec aplomb : « D’accord, mais l’important, c’est qu’on s’aime. » La jeune femme sourit : « C’est ce qu’elle m’a raconté, en tout cas! Mais c’est vrai que je n’ai pas du tout été traumatisé­e. Au contraire, c’était la preuve que j’étais grande, qu’on pouvait me faire confiance. » Malheureus­ement, cette marque de confiance s’accompagne d’un fardeau : le poids du secret. « Mes parents m’ont demandé de n’en parler à personne. » La recommanda­tion a été si bien respectée qu’aujourd’hui encore la famille de Gabrielle n’est

ON POURRA IDENTIFIER UN ENFANT NÉ D’UN ADULTÈRE IL Y A TROIS GÉNÉRATION­S

pas au courant. C’est la raison pour laquelle elle a demandé à L’Express de changer son prénom et de s’abstenir de publier sa photo, histoire qu’aucun membre n’apprenne la nouvelle dans la presse. « Moi, je serais favorable à parler haut et fort, parce que je considère qu’il n’y a aucune honte. Mais chaque chose en son temps. »

Les années passent, Gabrielle ne pense plus à sa « création », comme elle dit. « Ça a changé vers 15 ans. J’ai fait une dépression, qui a agi comme un catalyseur. Avec ma mère, on a commencé à reparler de “la manière dont je suis née”. C’était la formule consacrée, puisque les mots “donneur” et “PMA” n’étaient jamais prononcés. Elle souffrait de ne pas avoir de réponse à me donner. » Gabrielle tape quelques mots-clefs sur Internet, un peu au hasard. Elle s’inquiète de ne pas connaître ses antécédent­s médicaux. Serait-elle prédisposé­e au

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