Artiste utile
la lettre M, il n’y aura pas Morel, mais Moustache. Celle de Jean Rochefort, en l’occurrence, dont il est possible de se demander si elle servait à quelque chose et, si oui, à quoi. Bonne question. Essentielle. Indispensable. Voire métaphysique. Qu’ont dû se poser les auteurs du (futur) Dictionnaire amoureux de l’inutile : François Morel et son fils Valentin, qui vont plancher trois ans sur l’ouvrage. Il y sera aussi fait état des châteaux de sable, des parenthèses dans l’oeuvre de Philippe Jaenada, des ricochets ou de la guitare de Tino Rossi. Il y a deux jours (avant cet entretien dominical effectué dans le train Chambéry-Paris de retour d’une représentation du spectacle J’ai des doutes, où notre voyageur met en lumière les sketchs de Raymond Devos, fin de la parenthèse), François Morel a eu l’idée d’inclure dans ce dictionnaire de l’inutile une entrée sur un dictionnaire de l’inutile. « Ce serait une belle mise en abîme. » L’oeil pétille, le sourire s’amuse, le garçon est content.
Soit. Mais François Morel est-il lui-même si utile qu’il faille lui consacrer deux pages et de la sueur ? On attendra la fin de l’article pour répondre oui, mais on peut déjà être affirmatif. Il y a chez cet homme, ancien Deschiens devenu chroniqueur radio à succès, comédien pour toujours, joueur avec bonheur, poète esthète (Devos) – il fallait la faire, désolé –,
Aune voix douce (malgré le bruit du train) qui peut dire la modestie de l’artiste. Ses mots portent loin quand il raille en douceur sur les ondes de France Inter un Eric Zemmour à la tête d’haineux, ses spectacles affichent complets sans le crier partout (entre 200 et 300 par an), sa présence au cinéma ou à la télé est parcimonieuse et il se réjouit d’avaler ici un sandwich poulet confit d’oignon moutarde arrosé d’une bière comme s’il festoyait chez Gagnaire (rime peu riche).
Cette façon d’être se mesure également à une parole de tous les jours qui ne cherche pas à se faire plus grosse que le boeuf. Ainsi retournet-il comme une crêpe complète l’idée selon laquelle il profiterait de ses chroniques du vendredi pour faire entendre son avis sur le monde : « C’est quand je n’ai pas d’idées que je me résous à donner mon avis. Mais j’essaie de ne pas être péremptoire car je n’aime pas qu’on le soit avec moi. » Et c’est ainsi que les vaches sont bien gardées. Rien d’étonnant de la part d’un homme qui a écrit Meuh, ou l’histoire d’un jeune Normand transformé en Blanchette, ruminante bavarde tombée amoureuse d’un