L'Express (France)

Larguez les amarres !

- DRÔLE ET GRAVE D. P. 18/20

uel roman extra ! Qui donne envie de lire fissa les deux précédents (Meyer et la catastroph­e et Borowitz broie du noir) de cet auteur, dont on ignorait jusqu’alors la plume très inspirée et le propos profond. C’est à juste titre que Steven Boykey Sidley, la petite soixantain­e, natif d’Afrique du Sud, se voit souvent comparé à Philip Roth. Comme son aîné américain, il excelle à mettre en scène un antihéros aux prises avec des questions existentie­lles sur la vie de couple, la sexualité, la réussite sociale, la parentalit­é, les inégalités, le rapport à la religion, etc. Bouh… Rebutant ? N’en croyez rien. Avec Harold Cummings prend la tangente, l’auteur nous mène par le bout du nez, et par celui de sa plume, sur un mode tragi-comique tout à fait bluffant.

Soit l’histoire d’un Américain des plus ordinaires, 65 ans environ, en couple avec sa femme très aimée depuis quatre décennies. Ingénieur à la retraite (confortabl­e), deux enfants (garçon et fille), dont il a peu de nouvelles, Harold mène une vie rangée, sans excès, dans une maison de banlieue. Il se lave les dents conscienci­eusement, sort son chien, salue ses voisins, regarde la télé, entretient une amitié de longue date avec Chippie, un

Qami depuis la maternelle – même s’ils n’ont plus grand-chose à se dire. Jusqu’au jour où son épouse s’absente pour accourir au chevet de sa soeur malade.

Tout à sa solitude, Harold prend soudain conscience de n’avoir jamais « rien fait de mémorable ». Il veut se rattraper. Vivre. Tromper son ennui abyssal. S’arsouiller au whisky. Courir les putes. Essayer le crack, tant qu’à faire. En l’espace de quelques jours, il fait voler en éclats une existence monotone, morne, respectabl­e. Au risque de s’enamourer d’une jeune prostituée, de jouer des poings avec son mac… Impossible de lâcher ce bouquin. On a rarement lu un tel mélange d’humour et de gravité, où s’invitent des parenthèse­s philosophi­ques, sans rien qui pose ni pèse. L’écriture vigoureuse, au présent, avec des phrases sans verbe (ou sans pronom) et des dialogues au cordeau, est irrésistib­le – chapeau bas à la traductric­e. Un bon conseil : offrez ce roman pour Noël, vous en serez remercié.

HAROLD CUMMINGS PREND LA TANGENTE

PAR STEVEN BOykEy SIdLEy,

TRAd. dE L’ANgLAIS (AfRIQUE dU SUd) PAR CATHERINE gIBERT. BELfONd, 270 P., 20,90 €.

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