Meurtres sur toile au musée
onnaissez-vous le « criminart » ? Derrière ce drôle de mot-valise se cache un concept inventé par le Grec Christos Markogiannakis, un ancien avocat pénaliste installé en France depuis huit ans. Ce passionné de peinture et de faits divers de 38 ans propose de regarder les grands tableaux de l’Histoire avec l’aide des outils de la criminologie, une science qu’il connaît bien puisqu’il l’a étudiée sur les bancs de l’université à Athènes et à Paris.
« L’artiste crée et cherche à être reconnu. Le criminel, à l’inverse, se spécialise dans la destruction et veut laisser le moins de traces possible… J’avais envie de réunir ces deux forces a priori opposées », racontet-il. Un an après Scènes de crime au Louvre (Le Passage), c’est dans les allées du musée d’Orsay qu’il invite à débusquer les meilleures affaires criminelles sur toile.
Un constat : les homicides y sont nombreux. « Le xixe siècle est particulièrement fasciné par le crime, explique Christos Markogiannakis. Sous l’influence des grandes évolutions scientifiques, la sociologie, la photographie, l’anthropométrie et la criminologie naissent à cette époque.
Les artistes s’intéressent à toutes ces disciplines parce qu’elles complexifient leur compréhension de la nature humaine et changent les façons de percevoir le monde. »
Pas de traces ADN ni d’interrogatoires musclés dans la vingtaine d’investigations artistiques qui composent l’ouvrage. Mais, pour chaque peinture ou sculpture (signés Paul Cézanne, Jean-Baptiste Carpeaux...), des ponts entre les indices disséminés dans l’oeuvre et les apports de l’analyse criminalistique moderne. « J’étudie l’oeuvre selon la méthode crimino-légale : décrire la scène de crime, reconstituer la chronologie du tableau, interroger les victimes… L’objectif est de donner à entendre les points de vue de toutes les parties en présence. Comme dans une cour de justice », précise l’inspecteur Markogiannakis. En veillant à ne pas tomber dans les pièges tendus par l’artiste lui-même ! « A l’arrivée, c’est le spectateur qui crée sa propre vérité avec les indices récoltés. »
Quel sera le verdict du lecteur après l’étude « criminartistique » de l’Orphée de
C« Criminart » L’Orphée de Gustave Moreau vue par un ex-pénaliste.
Gustave Moreau, où une jeune fille contemple la tête du poète décapité, posée sur une lyre? « On peut à première vue l’interpréter comme une toile apaisée, empreinte de la tendresse nostalgique du deuil. Mais en regardant l’histoire de plus près, on comprend que cette femme, qui n’existe nulle part dans le mythe, pourrait en fait être l’une des meurtrières d’Orphée, qui, pour revivre son crime et en jouir, garderait sa tête comme un trophée. » De quoi ordonner la réouverture du dossier !
SCÈNES DE CRIME À ORSAY
PAr CHriStOS MArkOGiANNAkiS. LE PASSAGE, 256 P., 22 €.