La télé est-elle foutue ?
Détrôné par les plateformes vidéo, concurrencé par les nouveaux usages numériques, le petit écran doit se réinventer.
Ce sont, tous deux, de grands professionnels de la télévision. Ils étaient donc particulièrement bien placés pour évoquer l’avenir du petit écran et son utilité dans le monde de YouTube et de Netflix. Rencontre entre la productrice Simone Harari Baulieu, auteure de La Chaîne et le réseau (Les éditions de l’Observatoire) et de Bruno Patino, directeur général d’Arte, qui a publié Révolutions (Grasset). Avec, en toile de fond, la réflexion engagée par l’Etat sur la réforme de l’audiovisuel public.
l’express La télévision a tellement changé qu’il semble presque impossible aujourd’hui d’en apporter une définition précise. Que mettre derrière ce mot, désormais ?
Simone Harari Baulieu La télévision n’est plus seulement le « poste » devant lequel la famille s’asseyait pour regarder le même programme. Et elle n’est plus seulement la diffusion classique, linéaire, dans un ordonnancement imposé. Cette télévision n’a pas disparu : chaque soir, 30 millions de Français la regardent encore ainsi. Mais la notion de télévision renvoie maintenant prioritairement aux programmes : des contenus professionnels conçus pour être vus par des spectateurs de profils différents, à des rythmes différents, sur des écrans différents.
Bruno Patino Oui, les éléments qui constituaient la télévision – le téléviseur, la chaîne assemblant des contenus et les proposant à une heure donnée, et le programme vidéo – sont désormais dissociés. L’écran du téléviseur est celui de la synchronicité événementielle ; on le regarde à plusieurs pour les grands rendez-vous. A l’extrême opposé se situe le smartphone, l’écran de l’intimité, puis l’ordinateur et la tablette. Mais les usages ont davantage tendance à se compléter qu’à s’annuler les uns les autres.
Pour les jeunes, la télévision du salon est tout de même devenue un média « de vieux »…
B. P. Bien que la télévision vieillisse dans son offre linéaire, certains programmes de télé attirent encore les jeunes. Les téléspectateurs d’Arte ont en moyenne 60 ans sur l’antenne, dix de moins lorsqu’ils nous regardent via les plateformes et quinze de moins sur les réseaux sociaux. Sans parler du public des programmes de réalité virtuelle…
Et tout cela, c’est encore de la télé…
B. P. Je ne sais pas si c’est encore de la télé, mais en tout cas, c’est Arte. Le problème n’est pas de savoir si l’on fait une chaîne, mais de faire sa chaîne pour son audience sur l’ensemble des écrans, avec sa manière singulière de raconter des histoires. La question centrale est celle du rapport au temps. Ce que l’on voit arriver, génération après génération, c’est une liberté par rapport à la chronologie des programmes, parce que la technologie permet un visionnage à la demande. La télé qui vieillit à grande vitesse, c’est celle qu’on laisse allumée pendant la journée.
Face à la concurrence des géants Google, Amazon, Facebook et consorts, comment les chaînes linéaires « classiques » peuvent-elles survivre ?