« Nos décideurs n’ont pas une bonne approche de la réalité »
Pour l’économiste Bernard Perret, les politiques écologiques ne tiennent pas assez compte de l’évolution des modes de vie.
ernard Perret* a suivi de près les réponses apportées par les pouvoirs publics, ces dernières décennies, au casse-tête environnemental. Ingénieur et statisticien, il a en effet occupé plusieurs fonctions dans la haute administration, notamment à l’inspection générale du ministère à l’Ecologie. Il pointe les erreurs du passé.
Bl’express On sait que la fiscalité « verte » doit être assortie d’un discours très pédagogique pour être comprise et acceptée par les populations. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas fourni ces explications, d’après vous ?
Bernard Perret C’est d’autant plus étonnant qu’Emmanuel Macron s’est posé à l’international comme le champion de la lutte contre le changement climatique. L’une des raisons, à mon sens, tient au fait que la pensée technocratique se nourrit d’indicateurs économiques qui sous-estiment largement le phénomène des dépenses contraintes. Celles-ci ne sont pas forcément visibles lorsqu’on regarde l’évolution du revenu disponible des Français, alors qu’elles apparaissent très bien dans certaines enquêtes portant sur le budget des ménages. Ce sont, par exemple, les dépenses liées à l’allongement des distances entre le domicile et le lieu de travail. Les statistiques rendent mal compte de l’appauvrissement lié à ce phénomène. Nous devons nous interroger sur les modes de pensée de ceux qui fréquentent les allées du pouvoir ; les décideurs n’ont pas forcément la bonne approche de la réalité.
Que serait une transition écologique « juste, équitable et démocratique », pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron ?
B. P. Une transition qui répond à une vraie politique des modes de vie, qui s’interroge sur les causes premières des dépenses. Il faut se demander ce qui contraint les personnes à débourser davantage pour vivre de façon décente. Et concevoir la fiscalité en fonction de cette donnée. On sait bien qu’il ne peut y avoir de transition écologique s’il n’y a pas de « signal prix » – en clair, tout ce qui émet du carbone doit coûter plus cher à l’émetteur et au consommateur. L’augmentation du prix des énergies fossiles est incontournable. Elle est d’ailleurs implicitement évoquée dans la Charte pour l’environnement de 2004, au travers du principe pollueur-payeur. Mais elle doit être accompagnée d’une politique sociale adaptée.
Pensez-vous à des mesures financières compensatoires ?
B. P. Oui, mais il serait tout à fait dommageable d’en rester là, sans s’interroger sur la raison pour laquelle nous n’avons pas pensé la transition écologique comme un processus à la fois technique, économique et social lié à l’évolution des modes de vie. Les formes modernes d’organisation sociale ont rendu certaines catégories de la population particulièrement dépendantes des combustibles fossiles. Or ces problématiques auraient dû être prises en compte depuis longtemps. La question du changement climatique a été posée publiquement, dès les années 1990. Pourtant, les politiques menées, tant sur le plan national qu’à l’échelle des collectivités, ont massivement encouragé les gens à s’installer loin des centres-villes, là où le terrain est moins cher. Tout en faisant passer le message que, pour décrocher un emploi, il fallait être prêt à prendre sa voiture. La variable « maîtrise de la mobilité » n’a absolument pas été intégrée.