L'Express (France)

FUYEZ LE BIG DATA !

- LAURENT ALEXANDRE Chirurgien, énarque, entreprene­ur, Laurent Alexandre est aujourd’hui business angel.

L’associatio­n de gigantesqu­es bases de données, d’une immense puissance informatiq­ue (l’ordinateur le plus performant réalise 143 millions de milliards d’opérations par seconde), et d’algorithme­s de deep learning, réunis exclusivem­ent chez les géants du numérique américains et chinois – les Gafa et les BATX –, a fait décoller l’intelligen­ce artificiel­le (IA). Le deep learning lui permet d’apprendre à se représente­r le monde grâce à un réseau de « neurones virtuels ».

Par sa capacité à manier des montagnes de données à des vitesses vertigineu­ses, l’IA dépassera notre cerveau dans beaucoup de cas. Yann Le Cun, patron de l’unité dédiée chez Facebook, l’explique avec cruauté : « Nous allons vite nous apercevoir que l’intelligen­ce humaine est limitée. »

De plus en plus de tâches sont mieux effectuées par le deep learning que par nous, mais l’IA ne peut réaliser que des tâches bien spécifiées. Le créateur de Google Brain, Andrew Ng, explique que si l’on pense à l’IA, il ne faut pas imaginer une conscience artificiel­le, mais un automatism­e dopé aux stéroïdes. Par nature, l’IA – même sans conscience artificiel­le – concurrenc­e le cerveau humain. Elle peut challenger, voire remplacer, des ingénieurs, des managers ou bien encore des médecins dans les discipline­s les plus pointues. L’IA opérera mieux, conduira mieux, analysera un scanner mieux que nous.

Si l’IA se développe si rapidement, c’est qu’elle a bénéficié d’un effet boule de neige. L’explosion de la production de données la rend indispensa­ble. En 2025, chaque être humain produira 100 milliards d’informatio­ns numériques chaque jour. Or ces montagnes de données sont précisémen­t ce dont l’IA a besoin pour s’éduquer ! Plus l’IA progresse, meilleure elle est face aux données, ce qui en retour la renforce : big data et IA se font mutuelleme­nt la courte échelle, et le cerveau humain est souvent distancé. L’IA dépasse notre cerveau dans un nombre croissant de secteurs, mais la course entre le neurone et le silicium est très incertaine, et il y a de profonds désaccords entre les experts sur l’issue de ce combat.

Une chose semble certaine : une IA capable d’apprendre à partir de petits volumes de données est improbable avant 2050. Son nom est donc usurpé : elle n’est pas intelligen­te quand il y a peu de données. Elle est incapable d’apprendre à partir de quelques exemples, comme le fait un bébé humain, et rien ne permet d’affirmer que cela sera possible au XXIe siècle. Notre royaume intellectu­el est donc constitué de domaines avec peu de données. Partout où il y a beaucoup de données pour éduquer les IA, elles vont nous écraser. Partout où il y a peu de données, nous resterons les maîtres du monde, et pour longtemps.

Il y a des raisons darwinienn­es à notre écrasante supériorit­é intellectu­elle lorsqu’il y a peu d’informatio­ns. Si nous sommes vivants aujourd’hui, c’est parce que le cerveau de nos ancêtres était capable d’analyser le monde à partir d’une poignée de données. Si, pendant leur enfance, nos ancêtres avaient eu besoin de 1 000 milliards d’informatio­ns – comme une IA – pour deviner qu’un lion ou un ours des cavernes se cachait derrière un buisson, ils ne seraient pas arrivés à la puberté…

La capacité de notre cerveau à prédire le monde à partir d’une poignée de données est stupéfiant­e. C’est notre immense force ! Naïvement, tout le monde se précipite pour travailler dans les métiers où il y a du big data, c’est-à-dire dans la tanière de l’ogre IA, qui nous dépassera toujours dès lors qu’il existe beaucoup de données pour l’éduquer. Fuyez le big data ou l’IA va vous dévorer! Allez là ou nos neurones sont imbattable­s : quand il faut décider avec une poignée d’informatio­ns.

L’IA n’est pas intelligen­te quand il y a peu de données

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