LES RAISONS D’UN DIVORCE
D’après les différents instituts de sondage, la haine contre Macron vient d’une accumulation. Explications.
Le plongeon commence avec la piscine. Jean-Daniel Lévy, directeur du département Politique & Opinion chez Harris Interactive, le constate dès le début de l’été : pour lui, la première forte baisse de la cote de confiance d’Emmanuel Macron ne correspond pas aux mensonges et aux non-dits de l’affaire Benalla, mais à l’accumulation d’informations qui touchent personnellement le couple présidentiel. La création d’une piscine hors-sol au fort de Brégançon, l’utilisation du Falcon pour parcourir 110 kilomètres entre la Vendée et la Charente-Maritime, la commande d’un nouveau service de vaisselle destiné à l’Elysée pour plusieurs centaines de milliers d’euros : « Les Français ont eu le sentiment que le chef de l’Etat et son épouse se servaient au lieu de les servir, résume Jean-Daniel Lévy, que le couple profitait surtout de sa position pour améliorer son cadre de vie. Le président a perdu sept points d’un coup dans notre baromètre. »
Emmanuel Macron commence donc à chuter sur un comportement personnel – les problèmes politiques viendront plus tard. Les Français attendaient une autre attitude de cet homme qu’ils choisissent en mai 2017 parce qu’ils le jugent différent des autres, plus libre, plus indépendant du système et des partis. Dix-sept mois plus tard, interrogés par L’Express en octobre 2018, ils sont nombreux qui ne voient plus que son « arrogance » et pointent sa « déconnexion ». De plus en plus de Français lui reprochent de ne pas les comprendre, de ne pas savoir leur parler.
Macron a su camper la stature présidentielle dès son élection, avec sa déambulation dans les couloirs du Louvre. Il n’a pas réussi à conjuguer cette distance avec la proximité indispensable à la confiance, et a fini par exaspérer une majorité de Français, ceux-là qui disent aujourd’hui comprendre et soutenir le mouvement des gilets jaunes. « Beaucoup se retrouvent dans cette contestation, ni partisane ni syndicale, et perçue comme relevant de l’intérêt général », analyse Bernard Sananès, à la tête de l’institut Elabe. « Les revendications, très hétérogènes, agrègent toute une série de mécontentements », confirme Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos : « En un an, le nombre de Français qui rejettent à la fois l’action du chef de l’Etat et sa personnalité a augmenté de 17 %. »
« Le starter du mouvement, ce sont les taxes ; le moteur, c’est le pou-
“Une contestation ni partisane ni syndicale, et perçue comme relevant de l’intérêt général”
voir d’achat ; l’accélérateur, c’est l’hostilité envers Emmanuel Macron », poursuit Bernard Sananès. Selon lui, les phrases à l’emporte-pièce du président, depuis le début du quinquennat, ont participé à la cristallisation progressive de ces mécontentements : « En six mois, le pourcentage de Français qui disent qu’ils n’ont plus du tout confiance en Macron est passé de 24 à 44 %. » Nicolas Sarkozy et François Hollande ont atteint les mêmes seuils, mais pas aussi rapidement.
Il faut dire que le président y a mis du sien. De « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux » à « Je traverse la rue et je vous trouve un travail ! », en passant par le « Gaulois réfractaire au changement », l’effet d’accumulation est très net. Au point de susciter une violence verbale perceptible avant le 17 novembre et la première manifestation des gilets jaunes (voir l’encadré page 34)… Un déplacement à la rencontre des Français comme l’itinérance mémorielle, organisée début novembre dans l’est du pays, serait-il encore possible aujourd’hui ? Le 4 décembre, en sortant de la préfecture du Puy-en-Velay, le président est hué, insulté par quelques manifestants. Lui, d’ordinaire si prompt à aller au contact, ne s’approchera pas d’eux.
RETOUR DE BOOMERANG POUR UN COUPLE GLAMOUR
Même son épouse, plutôt épargnée jusqu’ici, est prise dans la tourmente, régulièrement comparée à Marie-Antoinette par des manifestants exaspérés. Une longue enquête sur les travaux de réfection entrepris à l’Elysée, publiée dans Le Monde daté du 1er décembre, tombe particulièrement mal, renforçant le sentiment que le couple présidentiel n’évolue pas dans le même monde que l’opinion : pendant que des Français réclament de pouvoir vivre décemment, Brigitte Macron modernise l’ameublement du palais et choisit une nouvelle moquette. « Ils ont construit leur histoire sur leur couple, analyse Jean-Daniel Lévy. Elle est très présente à ses côtés, les Français savent par exemple qu’elle participait au dîner d’explication avec Gérard Collomb [NDLR : le 17 septembre], qu’elle peut donner des conseils à son mari, voire le recadrer parfois. Automatiquement, s’il chute, elle chute avec lui. »
En couple, ils ont mis en scène du glamour; en couple, ils subissent le retour du boomerang, la haine de ceux qui jugent avoir été floués, mal
considérés, mal traités, voire totalement ignorés. « Au lieu d’arrondir les angles, le président les a avivés », souligne Jérôme Fourquet, directeur du département Opinions de l’Ifop : « Les fractures sociales et territoriales ne cessent de s’accentuer depuis 1995. En matière de fiscalité, la barque s’alourdit depuis longtemps ! La situation était inflammable, la multiplication de décisions politiques aussi symboliques que la suppression de l’ISF ou la baisse de 5 euros des APL a fini par la faire exploser. »
« UNE CÉCITÉ SOCIALE SANS PRÉCÉDENT »
Au premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a recueilli moins de voix que François Hollande en 2012 et Nicolas Sarkozy en 2007. Au second tour, malgré un débat raté, Marine Le Pen a gagné presque 13 points. Et l’abstention a été exceptionnellement élevée au second tour du scrutin législatif. Non seulement il n’y a jamais eu d’engouement à l’égard du président, mais encore son attitude, ses mots, ses choix politiques ont renforcé le sentiment que le chef de l’Etat était aveugle à la détresse grandissante de toute une partie du pays : « Avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la rupture entre le pouvoir politique et les Français, la cécité sociale ont atteint des niveaux sans précédent », constate Jérôme Fourquet.
D’après une information d’Europe 1, le chef de l’Etat a reconnu ses erreurs devant quelques élus des Yvelines, reçus à l’Elysée le 7 : « On lui a dit qu’il y avait certaines phrases parfois malheureuses et à ne pas prononcer. Il nous a dit en être conscient », a raconté le maire (LR) de Poissy, Karl Olive. D’après lui, pourtant, Macron aurait ajouté : « Vous n’imaginez pas comme je ne suis pas aidé… » Une phrase surprenante de la part d’un homme qui, depuis le début du quinquennat, répète comme un mantra qu’il « assume » tous ses actes.