L'Express (France)

“MACRON, ON VA TOUT CASSER CHEZ TOI !”

La manifestat­ion de ce samedi a montré combien la détestatio­n du couple présidenti­el a atteint un niveau sans précédent chez les gilets jaunes.

- Par Gérald Andrieu, Jean-Luc Barberi et Jérôme Dupuis

M Macron, invite-nous au Fouquet’s ! Et que Brigitte fasse le service avec de la vaisselle en or ! » Le cri a jailli sur les Champs-Elysées, samedi, au milieu d’une nuée de gilets jaunes qui avaient reflué devant le célèbre restaurant dans les vapeurs des bombes lacrymogèn­es. A elle seule, cette clameur concentre tout ce que les milliers de manifestan­ts sont venus hurler au président de la République. Bien plus que la fonction, c’est l’homme (et son épouse, donc) qui attise une haine viscérale, totale, définitive. Les taxes, le pouvoir d’achat, le smic, bien sûr. Mais c’est avant tout à « Manu » qu’on en veut. La vaisselle de l’Elysée, la moquette de l’Elysée, la piscine de Brégançon, tous ces frais engagés par la présidence de la République, à mille lieues des fins de mois difficiles des gilets jaunes, reviennent en boucle au pied de l’Arc de triomphe. « Macron devrait regarder ce que vient de faire le président du Mexique : il a vendu son jet. Pourquoi il ferait pas pareil, lui ? Ça en ferait, de l’argent à redistribu­er ! » assène une jeune femme arrivée des Vosges en covoiturag­e pendant la nuit. « Je connais des retraités qui doivent continuer à travailler à 80 ans ! De l’argent, y en a ! Il n’a qu’à arrêter d’acheter des robes à Brigitte ! » ajoute une manifestan­te, la cinquantai­ne, masque de plongée rose à la main, venue de Marmande (Lot-et-Garonne), où elle « tient » un rond-point depuis trois semaines.

LES MÉTAPHORES MONARCHIQU­ES ABONDENT

Une autre ajoute, les yeux rougis par les « lacrymo » : « Brigitte, elle s’en fout, elle a sept chauffeurs ! » Elle a lu ce chiffre sur l’un de ces centaines de milliers de posts Facebook qui, depuis quelques semaines, servent à la fois de point de ralliement, de défouloir anti-Macron et de machine à propager des fake news. Au hit-parade des pages vues, une vidéo dans laquelle le président, vêtu d’un gilet jaune, danse dans la cour de l’Elysée,

au son d’un zouk réclamant « Macron, démission ! »…

Mais, au fil des heures, le « Macron, démission ! » qui monte de toutes les gorges devant les magasins de luxe des Champs-Elysées se transforme en un plus direct « Macron, on t’encule! » rageusemen­t scandé. Et bientôt, entre deux charges de CRS, c’est l’air de la chanson en l’honneur de Benjamin Pavard, l’arrière de l’équipe de France de football, célébré ici même par tout un peuple ivre de bonheur en juillet, qui s’invite dans une version customisée : « Emmanuel Macron / On va tout casser chez toi / Emmanuel Macron / T’es qu’un gros bâtard! » Sans parler des attaques au-dessous de la ceinture, réactivant les rumeurs de la campagne présidenti­elle : « Brigitte, je te baiserais bien! Parce que je sais que Manu s’occupe pas beaucoup de toi ! » hurle un gilet jaune, déclenchan­t des rires. Ou encore : « Il est où, Benalla ? » Le fait que l’épouse du président soit si souvent associée aux slogans anti-Macron en dit long sur la haine personnell­e suscitée par le couple présidenti­el.

C’est comme si ce peuple s’invitant sur les Champs-Elysées et l’homme qui habite un peu plus bas « dans son château », « avec sa vaisselle en or », vivaient sur deux planètes différente­s. Ce n’est sans doute pas un hasard si les métaphores monarchiqu­es sont dans toutes les bouches : « A bas Sa Majesté Macron ! », « Dégage, Macron Ier ! », etc. Sur les planches en contreplaq­ué qui protègent une agence de la Société générale, un gros « A » anarchiste a été inscrit, assorti d’un tag : « Macron, décapitati­on ». Ailleurs en France, sur un rond-point du Puy-en-Velay (HauteLoire), on a déjà dressé un gigantesqu­e échafaud, avec un Macron en tissu sous la lame rougie… C’est comme si on voulait couper la tête de celui qui assurait, bien avant d’être candidat à la présidenti­elle, que « dans la politique française » il y avait un « absent » : « La figure du roi, dont je pense fondamenta­lement que le peuple français n’a pas voulu la mort… »

UN SENTIMENT DE MÉPRIS DE CLASSE TRÈS PRÉSENT

« Il veut même pas nous parler, vous vous rendez compte ? lâche un élu du Val-de-Marne (jadis chevènemen­tiste) venu manifester. Alors, s’il ne veut pas négocier, qu’il enclenche la dissolutio­n ou qu’il rende l’oseille, sinon il va être très mal, je vous le dis ! » Le sentiment du mépris de classe est très présent chez tous les gilets jaunes. Pour eux, Macron est un « riche » avant même d’être le président. « Manu, regarde ta Rolex, il est l’heure de partir ! » a écrit un homme au dos de son gilet jaune.

« La dette, la dette, mais Macron nous raconte des histoires! Il parle comme un Rothschild! » assène un conférenci­er improvisé au milieu de l’avenue. Le nom de la banque par laquelle Macron est passé revient tout le temps dans les conversati­ons. Et pas seulement chez les militants anticapita­listes, avec leur banderole « contre les banksters »… « C’est Macron qui va payer ma chaudière? s’indigne un Antillais d’Aulnay-sous-Bois (SeineSaint-Denis). Il ferait mieux de s’occuper de nos fins de mois plutôt que de vouloir sauver les abeilles… » Et à peine les lacrymo dissipés, la foule remonte les Champs-Elysées aux cris redoublés de « Macron, démission! Macron, démission ! »

Du côté des casseurs, Macron n’a pas la cote non plus, on s’en doute. Plus tard, dans l’après-midi, au milieu des grenades assourdiss­antes, 300 ultras et jeunes de banlieue partent à l’assaut d’un Monoprix, rue de Lisbonne. Des chaussures de femme volent dans les airs. « Voilà des Louboutin pour la pute à Macron ! » hurle un manifestan­t. La foule se marre. Evidemment, ce ne sont pas des Louboutin.

Et puis il y a toutes ces « petites phrases » du début de quinquenna­t qui, décidément, ne passent pas. « Tu vas voir, Manu, on va traverser la rue pour venir chez toi! C’est toi qui vas devoir te trouver un travail ! » crie un gilet jaune. « Tu sais, on est là, on va venir te chercher chez toi! » ajoute un autre en montrant la direction de l’Elysée sous les acclamatio­ns de ses copains arrivés de Melun (Seine-etMarne). Soudain, un petit comique qui connaît ses classiques lance : « Hé, Manu, tu descends? » Et, au fond, derrière la boutade, c’est peut-être lui qui a le mieux résumé la situation…

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Boomerang Les « petites phrases » qui, décidément, ne passent pas, reviennent dans les slogans.
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