L'Express (France)

Lien et l’autre

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La palme d’or réveille souvent le public pour l’emmener vers un cinéaste jusque-là trop méconnu – ce fut le cas, entre autres, pour Nuri Bilge Ceylan (Winter Sleep), Michael Haneke (Le Ruban blanc), Gus Van Sant (Elephant) ou Abbas Kiarostami (Le Goût de la cerise). Il est fort probable qu’elle pousse à découvrir Hirokazu Kore-eda, immense cinéaste japonais, vu en France au milieu des années 1990 et justement célébré, en 2003, à Cannes déjà, avec Nobody Knows – l’option n’est d’ailleurs pas négociable, Une affaire de famille est à voir immédiatem­ent, merci.

L’homme est discret, son succès aussi, et il faut se réjouir de ce coup de projecteur porté sur un réalisateu­r qui, la plupart du temps, peint le tableau des relations familiales, ou ce qu’il en reste, dans un monde qui redistribu­e les liens du sang et les liens du sol, les migrations et les adoptions, les hasards et les nécessités. C’est un cinéaste impression­niste, comme les peintres peuvent l’être, qui raconte une histoire en de petits faits et gestes. Parce que chaque scène y est si précise, si imbriquée dans l’ensemble, si insignifia­nte et si importante, le cinéma de Kore-eda crée des situations d’une singularit­é extrême (elle n’est sûrement pas celle que chacun vit), mais il dit aussi que le monde se construit bon an mal an à partir de cet ensemble de particular­ités. L’universali­té est laissée aux films qui brassent du romanesque grand large, Kore-eda, lui, raconte l’importance du pas grand-chose. Dans les deux cas, si réussite il y a, c’est de la condition humaine qu’il s’agit (chacun fait comme il peut), qui a besoin de l’imaginaire et du bitume pour avancer.

Une affaire de famille réunit sous un même toit branlant une grand-mère, un couple, un fils, et bientôt une gamine trouvée une nuit dans la rue et recueillie au sein de cette famille qui travaille (un peu) et vole (surtout). La vie comme elle va, entre affection réelle, survie, sourires, quotidien à la con et avenir pas forcément meilleur. Que c’est banal d’écrire ça… Et pourtant ce film ferait croire au miracle. Cette saga de l’intime se transforme sans en avoir l’air en drame émouvant nourri par un suspense que personne ne voit venir. Et, à la fin, une seule question : mais comment fait Kore-eda pour faire surgir l’essentiel, planqué sous le tapis ? Voir l’interview d’Hirokazu Kore-eda page 92.

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