Céline, une victime ?
Ici même, nous avons sonné l’alarme contre d’étranges réhabilitations. D’abord, contre la décontamination d’un maître de l’erreur criminelle, Charles Maurras ; puis, contre la réévaluation du rôle du maréchal Pétain sous la « révolution nationale », présenté comme un « bouclier » (1). Las ! il nous faut, aujourd’hui, nous intéresser au troisième étage de cette fusée révisionniste : celle qui concerne notre « grantécrivain » Louis-Ferdinand Céline. Un éditeur met en circulation un petit libelle « fake » (2). Bagatelles pour un mensonge ? Ses auteurs, MM. Alliot et Mazet, outre leur insistance sur le fait que Céline n’a pas été un agent allemand, veulent décomplexer le regain de ferveur pour la partie la plus ignoble de l’oeuvre de Céline, celle des pamphlets antisémites – Bagatelles pour un massacre, L’Ecole des cadavres, Les Beaux Draps. Dédramatiser les faits et gestes du bouffeur de « youtres » et de « négroïdes juifs ». Tout à leur besogne, Alliot et Mazet n’hésitent pas à salir la dernière en date des études consacrées à la haine des juifs nourrie par Céline : le livre, exhaustif et rigoureux, de Pierre-André Taguieff et d’Annick Duraffour, paru en 2017, Céline, la race, le juif. Non contents de traiter les deux auteurs de « charlatans », et « zazous » (sic) et de « bachi-bouzouks », les deux plumitifs remettent hélas en selle une vision de Céline que toutes les recherches sérieuses ont balayée : celle d’un Petit Chose, nazi à son insu, presque par accident. D’une victime. Biffées, les dénonciations répétées de Céline sous l’Occupation ; raturée, son amitié avec de hauts dignitaires nazis ; frappé d’oubli, son séjour à Sigmaringen, dans le même hôtel que le chef de la Gestapo, et où même Rebatet s’étonna de la mesquinerie d’un pensionnaire cachant dans sa piaule des kilos de charcuterie… (1) Laurent Joly, « Vichy n’a jamais été un moindre mal », propos recueillis par Yoann Duval, L’Express, septembre 2018. (2) Avez-vous lu Céline ?, de David Alliot et Eric Mazet, éd. Pierre-Guillaume de Roux.