L'Express (France)

Le roman du président, par Christophe Barbier

Où le chef de l’Etat constate que, face aux gilets jaunes, il ne peut compter sur personne… Episode LXXXI.

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2 décembre, 22h15

Le président, assis sur son lit, enlève son soulier gauche. Un bruit dans la salle de bains – Brigitte est là. « Je suis crevé, Bibi. Si tu savais ce que j’ai vu à l’Arc de triomphe. Un désastre. Je me demande si je dois pas virer Castaner. Avec le décalage horaire de l’Argentine, je suis vraiment fatigué… » « Et nous ? » Le président se lève d’un bond : cette voix mâle et rocailleus­e n’est pas celle de sa femme. Un immense grognard du Premier Empire, aux moustaches rousses et au bonnet en poils d’ours, se dresse devant lui. « Et nous, nous, les petits, les obscurs, les sans-grade / Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades / Sans espoir de duchés ni de dotations / Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions [...] / Marchant et nous battant, maigres, nus, noirs et gais…/Nous, nous ne l’étions pas, peut-être, fatigués? » C’est Jean-Pierre-Séraphin Flambeau, dit « le Flambard », sorti de L’Aiglon, d’Edmond Rostand. Rostand, mort le 2 décembre 1918… « C’est toi qui fais tout ce bruit, Biquet ? » Brigitte entre dans la chambre, le fantôme de Flambeau s’évanouit…

3 décembre, 11h38

Edouard Philippe réprime une envie de bâiller et se rend compte qu’il ne sait plus qui est en face de lui. Recevant tous les chefs de partis, il voit défiler depuis l’aube des gens qui lui donnent des leçons alors qu’ils ont perdu toutes les élections des cinq dernières années. Mais celui-là, avec son sourire ironique et sa barbe de trois jours, impossible de l’identifier. D’un sourcil, il interroge son directeur de cabinet, qui lui envoie un texto : « David Cormand, EELV. » Les Verts? Le Premier ministre pensait qu’ils n’existaient plus…

4 décembre, 16h39

« Alors, cette suppressio­n de la hausse des taxes? C’est pour quand ? » Emmanuel Macron a une voix de glace. Edouard Philippe se racle la gorge. « Eh bien, je propose une suspension de six mois. On laisse passer les européenne­s, on surveille les cours du pétrole et, le 1er juillet, on siphonne. » « Qu’en dit Bercy ? », relance Macron en pinçant les lèvres. « Pour limiter les pertes de recettes au plus raisonnabl­e, répond Gérald Darmanin, je suggère une suspension de dix-sept minutes et huit secondes. » « Pardon ? » « A partir du 1er janvier à minuit dix-sept minutes et huit secondes, on augmente les taxes. Les Français n’auront qu’à faire le plein juste après le réveillon. Si le moratoire dépasse ce délai, on ne tiendra pas les 3 % de déficit en 2019. »

5 décembre, 16h03

Edouard Philippe n’est pas mécontent : son discours devant l’Assemblée nationale annonçant le moratoire sur la hausse des taxes est bien passé. Avant de regagner sa voiture, le Premier ministre passe par les toilettes. Soudain, une silhouette massive vient s’encastrer dans l’urinoir voisin. « Vous êtes foutu, marmonne Jean-Luc Mélenchon. Quand on est obligé d’avaler son chapeau comme vous l’avez fait, on ne reste pas

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