Christian Makarian, Nicolas Bouzou, Laurent Alexandre, Jacques Attali
Eu égard aux événements qui secouent la France, l’Europe n’est sûrement pas la première préoccupation des citoyens. Elle est pourtant la principale victime collatérale de la double conjonction qui aboutit simultanément à l’affaiblissement du président français et à la fin programmée du règne de la chancelière allemande.
Sans spéculer sur la durée d’Angela Merkel à son poste actuel, car on aurait tort de minimiser sa capacité de résilience (comme vient encore de le prouver l’élection de sa favorite, Annegret Kramp-Karrenbauer, à la tête de la CDU, voir page 12), cette dernière va s’effacer progressivement en tant que personnalité dominante au sein de l’Union européenne. Or une grande partie de sa force venait non tant du fameux « couple francoallemand » – expression convenue dont il ne faut attendre aucune réalité fusionnelle – que de son tandem assez unique en son genre avec quatre présidents français successifs (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron).
Autant dire qu’elle avait acquis un know-how appréciable que son successeur n’aura vraisemblablement pas ; et qu’Emmanuel Macron verra ses propres difficultés internes accompagnées à l’extérieur par la relativisation inéluctable de l’appui allemand. Ce n’était pas une lune de miel par tacite reconduction, loin s’en faut, mais qui peut parier sur la suite ?
Face aux nouveaux défis sociaux et économiques auxquels Macron est confronté, qui feront passer le stade national à un tel niveau de priorité que son action internationale glissera fatalement au second plan, l’appui de l’Allemagne ne sera plus une donnée sécurisée. Déjà son statut de président modèle du camp occidental vient subitement d’enregistrer un recul sensible au sein des élites politiques allemandes ; ses projets de réforme européens risquent d’en pâtir directement.
A l’inverse, le (la) successeur(e) d’Angela Merkel à la chancellerie va se trouver comme libéré(e) de la litanie franco-allemande. Les mauvais chiffres de la France contribuent à alimenter l’inquiétude, ou la perte de confiance, à Berlin ; et les logiques respectives oeuvrent contre les forces d’un couplage qui repose fortement sur les relations personnelles entre dirigeants.
Pour exemple, Olaf Scholz, actuellement vicechancelier et ministre des Finances social-démocrate, a lancé un pavé dans la mare en proposant que la France renonce à son siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU au profit de l’Union européenne. En clair, ce siège reviendrait aux 27 membres de l’UE par rotation (le droit de veto deviendrait celui de l’UE). Ce n’est là qu’une vue de l’esprit, impraticable, qui a évidemment été rejetée par la France, laquelle a son propre plan de réforme du Conseil de sécurité, avec l’arrivée de nouveaux membres permanents (Allemagne, Japon, Inde et deux pays africains). On n’en est pas là…
Il reste qu’avec le Brexit et la sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne, si toutefois ce schéma se voyait définitivement acté, la France de Macron se retrouvera d’ici peu le seul pays de l’UE à disposer à la fois d’un siège permanent au Conseil de sécurité et de la dissuasion nucléaire. Loin d’être seulement une position de force, ce statut historiquement inédit demandera à Paris une nouvelle argumentation à l’égard de ses partenaires européens et, peut-être, de nouveaux concepts stratégiques.
L’axe traditionnel Paris-Berlin sera-t-il alors un soutien ou se transformera-t-il en une nouvelle complexité ? La reine de l’Europe va vers la sortie, tandis que le prince héritier cumule les ennuis. Une phase est en cours d’achèvement – même si un nouveau traité de l’Elysée entre Paris et Berlin est prévu prochainement et si un accord a été finalement trouvé entre les deux au sujet de la taxation future des Gafa – et l’« effet de renouvellement » viendra cette fois d’outre-Rhin…
Ce n’était pas une lune de miel, mais qui peut parier sur la suite ?