L'Express (France)

Je t’aime, je te surveille

Stylos-caméras, mouchards GPS, logiciels espions dans le smartphone… Epier un proche, c’est moche, mais simple comme un clic.

- Par Virginie Skrzyniarz llustratio­ns : Gianpaolo Pagni

Comment Diego* en est-il arrivé là ? Annabelle ne se l’explique pas. Quand ils se sont rencontrés, elle avait bien remarqué qu’il était un poil jaloux. En tout cas, plus que ses ex. Sur le coup, la jeune femme avait d’ailleurs trouvé cela plutôt touchant. Après tout, s’il était suspicieux, c’était peut-être le signe qu’il l’aimait. Mais le trentenair­e a très vite viré parano. « Il me téléphonai­t plusieurs fois par jour pour vérifier que j’étais bien là où je devais me trouver, raconte la comédienne. Et si je ne décrochais pas, la moutarde lui montait illico au nez. Dans la demi-heure qui suivait, j’avais une bonne dizaine d’appels en absence. »

Lorsque Annabelle sort avec ses copines, elle a droit à un véritable interrogat­oire : « C’est qui cette Léonore ? » ; « Pourquoi son frère commente toujours tes selfies? »; « T’es pas sapée un peu trop sexy? » Et encore, ce n’est rien, comparé à leurs virées en amoureux. « Dans la rue, il était persuadé que tous les hommes me reluquaien­t, poursuit-elle. Pis, il était sûr que ça me plaisait. » Un soir, Diego est même à deux doigts d’exploser la tête d’un serveur qui a offert une bière à Annabelle. Ce jour-là, la jeune femme lui pose un ultimatum : « Tu changes. Ou je me tire. » Le message semble passé. Plus de reproches, plus de sous-entendus. Mais voilà qu’un matin, Diego lâche un « coool… » en fixant le poignet de sa dulcinée. Elle : « Quoi ? » Lui : « Ben… tu l’as retrouvée? » Un échange banal, en apparence. Sauf qu’Annabelle en est sûre : elle n’a jamais dit à son compagnon qu’elle a égaré sa montre. Seule Léonore, sa bonne copine, sait. Silence

embarrassa­nt. Interrogat­oire façon police. Diego finit par cracher le morceau : il a placé une appli dans le smartphone de sa moitié et lit ses SMS et ses courriels. C’en est trop. La jeune femme déguerpit.

L’histoire d’Annabelle est, hélas, tristement banale. Tout comme celle de cette trentenair­e qui a déposé plainte contre son ex-compagnon pour avoir installé une balise GPS sous son véhicule. Pendant plus d’un an, il suivait à la trace le moindre de ses déplacemen­ts. L’espion en herbe comparaît devant le tribunal correction­nel de Lorient ce mercredi 12 décembre. Car inutile d’attendre que son conjoint soit sous la douche pour aller fouiner dans son mobile – plus de 1 Français sur 5 s’adonnerait à cette pratique, révélait un sondage réalisé par Yahoo en 2012. Aujourd’hui, traquer son partenaire est devenu un jeu d’enfant.

Il suffit de pousser la porte d’une boutique spécialisé­e pour s’en convaincre. Du stylo-espion à la caméra numérique dernier cri – branchée sur une box, elle permet de regarder depuis n’importe quel ordinateur ce qu’il se passe chez soi ou ailleurs –, en passant par la boîte à mouchoirs et le réveil équipés d’un micro, on peut s’offrir, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la panoplie complète du James Bond amateur. Et pour l’artillerie lourde ? Rien de mieux que la Toile. Faites le test et tapez : « Espionner son mari/sa femme ». Une foultitude d’applicatio­ns et de logiciels, dont les noms contiennen­t presque toujours le terme « spy », permet de surveiller à distance un mobile ou un ordinateur. Pour quelques centaines d’euros, voire beaucoup moins, on peut suivre les communicat­ions et les déplacemen­ts de son partenaire. Les logiciels les plus sophistiqu­és permettent non seulement de bloquer certains appels entrants, mais aussi d’activer à distance un micro, voire d’enregistre­r les touches tapées sur un clavier ou de réaliser des captures d’écran des sites Internet visités.

L’utilisatio­n de ces logiciels espions se démocratis­e à la vitesse grand V. En cause, le prix, donc. Mais aussi leur facilité d’installati­on. Nul besoin d’être un crack en informatiq­ue : en trois minutes, le tour est joué ! Pour les moins doués, il existe même des tutos. Une fois en place, l’intrus est quasi indétectab­le.

“JE PRÉFÈRE DÉCOUVRIR QU’ON ME TROMPE PLUTÔT QUE DE L’APPRENDRE PAR UNE VOISINE”

DES PRATIQUES INTERDITES PAR LA LOI

Pourquoi diable un tel engouement pour ce matériel d’espionnage ? « Certes, la jalousie est un sentiment vieux comme le monde, rappelle la sociologue Catherine Lejealle. Mais la société a changé. D’un côté, la cellule familiale s’est resserrée autour du conjoint et des enfants. Les hommes et les femmes s’investisse­nt davantage dans leur couple. Ils veulent tout partager. De l’autre, les portables se sont immiscés dans la vie conjugale. Chacun conserve désormais une sphère d’autonomie qui peut, dans certains cas, exacerber la jalousie de l’autre (« C’est quoi ce texto qui le fait sourire ? » ; « Pourquoi répond-elle toujours aussi vite aux MMS de son ex ? »…). D’où le besoin pour certains d’aller stalker (épier sur les réseaux sociaux) leur moitié – on regarde, l’air de rien, les nouveaux amis ajoutés sur Facebook ou les photos postées sur Instagram. Ou d’installer un mouchard pour tout connaître de sa vie numérique. Les mobiles catalysent beaucoup de fantasmes chez les individus qui manquent de confiance en eux. »

Cécile est une jalouse maladive. C’est elle qui le dit. La jeune femme a toujours fait les poches de ses chéris successifs – elle sait que c’est moche, merci ! –, à la recherche d’un numéro de téléphone griffonné, d’un cheveu suspect, voire d’une trace de maquillage. « C’est plus fort que moi, ça me démange les doigts, reconnaît-elle, Et puis, je préfère découvrir que mon mec me trompe plutôt que de l’apprendre de la bouche d’une voisine ou d’une collègue “bien intentionn­ée”. » Jusqu’à récemment, Cécile n’avait pas vraiment de raisons de s’inquiéter. Le doute s’est fait plus important l’an dernier, quand elle a vu Romuald aller systématiq­uement aux toilettes avec son iPhone à la main. « J’ai posé en douce une appli sur son téléphone, ça n’a pas raté : j’ai découvert des dizaines de textos à l’eau de rose adressés à une certaine Alexia. » Le soir même, elle balançait tout. Fin de l’histoire.

Placer un mouchard sur le mobile de son conjoint permet parfois juste de se rassurer. Quand Pierre-Hugo a compris qu’il n’avait pas de raisons de douter – il était avec quelqu’un de sérieux –, il a rapidement cessé de consulter les messages destinés à son compagnon. A la première occasion, il s’est d’ailleurs promis de s’emparer du téléphone de Maxence pour désinstall­er le logiciel.

Dans son cabinet d’Enghien-lesBains, Arnaud Pelletier voit défiler un nombre croissant d’hommes et de femmes brandissan­t des preuves d’adultère numériques. « Quand ils viennent me voir, 95 % d’entre eux sont déjà au courant de l’infidélité de leur conjoint, confirme le détective. Les soupçons sont presque toujours justifiés. Mais la plupart de mes clients savent aussi que les méthodes qu’ils ont utilisées ne sont pas légales. A moi de prouver l’adultère en respectant les règles pour qu’ils puissent entamer un divorce. »

Que dit en effet la loi ? L’espionnage est une atteinte à la vie privée et au respect de l’intimité. « Il est interdit d’entrer par fraude dans un

ordinateur ou dans un téléphone, confirme Camille Mogan, avocate bordelaise spécialisé­e dans le droit des nouvelles technologi­es. Poser un GPS sur le véhicule de quelqu’un ou le filmer sans son accord est tout aussi répréhensi­ble. Les contrevena­nts risquent un an de prison et 45 000 euros d’amende selon le Code pénal. En revanche, si vous accédez à une informatio­n non protégée, sur une boîte mail commune, par exemple, ou si vous lisez les mails d’un compte resté connecté, il n’y a pas de problème. »

Officielle­ment, ces logiciels ne sont pas vendus pour surveiller les conjoints. Ils sont conçus pour les entreprise­s ou pour les parents un tantinet stressés. Ceux qui, par exemple, achètent des montres connectées à leur bambin de 6 ans ou glissent une clef USB dotée d’un micro dans la doublure de leur doudoune. Roxane est l’une de ces mamans qui a toujours besoin d’être rassurée. « J’ai acheté un téléphone portable à Gaspard quand il est entré en classe de sixième, explique cette jeune ergothérap­eute. Mais il me snobait chaque fois que j’essayais de le joindre. Du coup, je me suis décidée à commander ce logiciel qui bloque son mobile s’il ne répond pas à mes appels. Ça marche du tonnerre : Gaspard a tellement peur de ne plus pouvoir consulter ses “like” sur Facebook qu’il décroche maintenant au quart de tour. »

Agnès, elle, dégaine chaque matin son téléphone portable dès que Jeanne, la petite dernière (11 ans), claque la porte de l’appartemen­t parisien. Elle ouvre alors son appli FindMyKids et suit le cheminemen­t de sa fille jusqu’au collège. « L’autre jour, elle a tourné à droite au lieu de traverser le carrefour, explique cette mère de quatre adolescent­es. Je l’ai aussitôt appelée pour savoir ce qu’il se passait. Elle avait oublié de me prévenir qu’elle avait promis à sa copine Sarah d’aller la chercher. »

Du haut de ses 13 ans, Eliott, lui, menace de quitter le pavillon familial si ses parents s’amusaient à ce petit jeu-là. « Est-ce que moi je vais regarder dans leurs affaires ? Franchemen­t, ça me donnerait encore moins envie de leur raconter des choses. »

«Les parents sont plus angoissés qu’autrefois, analyse Claire Balleys, spécialist­e des sociabilit­és adolescent­es. Ils sont persuadés, souvent à tort, que la société d’aujourd’hui est plus dangereuse que celle d’hier. En fouillant dans le portable de leurs ados, ils s’immiscent dans leur vie privée. La plupart des jeunes en arrivent à effacer les historique­s, alors qu’ils adorent conserver les messages et photos de leurs amis et amoureux. C’est regrettabl­e, car on a tous besoin de créer ces liens intimes pour grandir. »

La parade pour échapper aux espions de la maison ? Acheter un autre portable? Se créer une adresse mail clandestin­e que l’on consultera­it à partir d’un ordinateur hors surveillan­ce ? Mieux encore : espionner l’espion. Il finit souvent par lâcher une info qu’il n’est pas censé connaître. Souvenez-vous, Diego en a fait les frais. Dans ce cas, fuyez !

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