BNP Paribas : le blues des banquiers
Fermeture d’agences, réduction d’effectifs… le désaroi des employés de la première banque française face à la digitalisation prend de l’ampleur.
« Trop, c’est trop. Le groupe ferme 50 agences par an, et ça va continuer »
« Vous avez l’application BNP Paribas ? On va regarder dessus ce que l’on peut faire pour vous. » A l’accueil d’une agence parisienne, on utilise presque autant la tablette ou le smartphone du client que l’ordinateur du guichetier. C’est un effet visible de l’offensive digitale lancée depuis dix-huit mois chez le premier groupe bancaire français et européen.
Seulement, cet important plan de transformation numérique a des répercussions moins clinquantes sur les métiers de ceux qui sont au contact de la clientèle, comme Pierre*, un banquier d’une trentaine d’années installé dès potron-minet derrière son comptoir du XVe arrondissement. « Cela fait trois ans que je travaille ici, on voit bien que l’intensité est un peu plus faible qu’avant, on a un peu moins de clients qui viennent, mais ils ont des besoins différents. Il faut s’adapter, mais c’est vrai que le secteur bancaire subit la transformation. » A BNP Paribas, la révolution numérique est déjà bien enclenchée avec 8 millions de clients dits « digitaux », c’est-à-dire en contact avec l’application de la banque, mais aussi 400 000 clients qui ont opté pour la petite soeur entièrement dématérialisée, Hello Bank. Une évolution rapide des usages qui a des répercussions notamment sur le réseau. Ainsi, entre 2016 et 2020, le groupe aura fermé plus de 10 % de ses agences, conformément aux engagements de son plan stratégique. Mais son cas n’est pas isolé puisque, d’après le cabinet de conseil Sia Partners, sur la même période, le nombre d’agences bancaires françaises devrait chuter de 37261 à 32500 (- 12,6 %), alimentant par là même la crainte des syndicats de voir les effectifs fondre. La direction de BNP Paribas se montre moins alarmiste, confirmant une réduction naturelle de l’ordre de 2 à 4 % par an, sans départs contraints. Pas suffisant pour rassurer les salariés. « Trop, c’est trop. Le groupe ferme 50 agences par an et ça va continuer. Nous avons des démissions, des abandons de poste. Les tâches des conseillers changent en permanence », explique Charles Legros, délégué national FO, qui va fêter ses quarante années passées dans la maison de la rue d’Antin, et se demande ce que vont devenir ses collègues.
STRESS AU TRAVAIL
Cette exaspération a poussé les élus à appeler à un mouvement social généralisé le 4 décembre dernier. Du jamais-vu depuis plus de vingt ans, parole de syndicalistes. « Il n’y a pas que les agences, toutes les couches de l’entreprise sont touchées », indique François Besnard, délégué national CGT. « Cette digitalisation, est-ce qu’on la fait avec les salariés ou à la hussarde ? Des réorganisations dans la banque, on en a subi beaucoup, et il est temps d’apporter de la visibilité au personnel », ajoute Joël Debeausse, délégué national adjoint du SNB, première force syndicale du secteur. Chaude ambiance chez les cols blancs.
Si le vent de la colère semble se lever, difficile pour autant de saisir l’ampleur du mouvement car, dans la
banque, on compte les liasses du mécontentement loin du regard des clients. Pas de pancarte sur les devantures, encore moins de messages explicatifs sur les paperboards à l’entrée des agences, la grogne des banquiers est larvée. Et même l’intersyndicale (CFTC, CGT, FO et SNB/CFE-CGC), bien que très unie, avait expressément demandé qu’aucun rassemblement public n’ait lieu, histoire de ne pas cogner avec l’image des casseurs ou des gilets jaunes, pour qui les banques sont justement des cibles de choix.
Il n’empêche que le malaise est réel, comme en témoignent les chiffres de la mobilisation : « 8 % en équivalent temps plein », selon les calculs de la direction, « mais 40 % des salariés ont cessé le travail au moins une heure, c’est une grande réussite », souligne un leader syndical.
Parmi les principales revendications des élus, la question des salaires revient souvent et la direction peine toujours à rassurer les 40 000 employés de BNP Paribas SA, la branche regroupant les fonctions support, la banque de détail et les activités entreprises. « C’est vrai que nous ne sommes pas parvenus à un accord lors des dernières NAO [négociations annuelles obligatoires], mais nous maintenons le dialogue ouvert, et un autre rendez-vous sera proposé à la mi-décembre », fait-on valoir au siège, où l’on rappelle que le groupe a tout de même convenu d’une enveloppe de 1,5 % pour les augmentations individuelles cette année, sur une masse salariale globale estimée à 1,9 milliard d’euros fin 2017.
Sur les conditions de travail, autre grief syndical, la situation reste tendue. « Surstress », « violence », « dégradation de la qualité de vie », la transformation pèse sur les salariés, si l’on en croit la plateforme revendicative de l’intersyndicale. Il faut dire que, depuis la crise financière de 2008, les banquiers encaissent. « Le secteur continue de privilégier les activités de marché, plus rentables, aux activités de détail. Et, quelque part, les salariés sont traités comme leurs clients. Ils ont été en première ligne pendant la crise, et c’est la même chose avec l’adaptation au numérique. C’est un peu cette souffrance qui s’exprime », résume l’économiste spécialiste de la banque Jézabel Couppey-Soubeyran.
Sur le terrain, les syndicats tirent donc la sonnette d’alarme. « Des burnout? Oui, on en a. Des dépressions aussi. On a des gens qui viennent travailler parce qu’ils n’ont pas le choix. Mais dans quelles conditions », déplore Charles Legros, qui veut casser le mythe du « banquier de Wall Street ». « Des guichetiers à 25 000 euros par an, il y en a plus que vous le pensez. Et des salariés qui quittent l’entreprise après quarante-deux ans avec un salaire annuel de 30000 euros également », affirme l’élu.
Pour répondre à ce malaise, la direction indique qu’elle a lancé une politique de prévention des risques psychosociaux, avec des outils de mesure mis en place par un cabinet extérieur. Pas question de tomber dans un syndrome à la France Télécom. « Nous avons aussi 60 personnels de santé disponibles au niveau national, 40 assistants sociaux et une ligne dédiée pour contacter un psychologue », détaille-t-on.
NOUVELLE CONCURRENCE
Mais, sur le terrain, une certaine forme de résignation pointe, même parmi les jeunes troupes du groupe. « Dans cinq ou dix ans, on ne sera plus là, ou alors on fera autre chose, déplore Paul*, un conseiller clientèle de 29 ans, croisé en train de griller une cigarette sur le trottoir d’une agence parisienne. De toute façon, on va vers la disparition des agences. »
Pour BNP Paribas comme pour les autres acteurs du secteur, de nouveaux défis s’annoncent, et la transformation est loin d’être terminée. Le développement fulgurant des fintech (start-up financières) accélère le mouvement, poussant ces grands établissements à saisir les opportunités. Comme le Compte Nickel, une banque sans agences rachetée par BNP Paribas en 2017. Ou encore le programme d’intelligence artificielle Watson (IBM), un conseiller virtuel, capable de délivrer des prêts à la consommation pour les clients d’Orange Bank. Autant d’outils censés faciliter la vie des clients, mais qui ne vont pas rassurer les banquiers du quotidien.
* Les prénoms ont été modifiés.
Une forme de résignation pointe, même parmi les jeunes troupes