L'Express (France)

BNP Paribas : le blues des banquiers

Fermeture d’agences, réduction d’effectifs… le désaroi des employés de la première banque française face à la digitalisa­tion prend de l’ampleur.

- Par Sébastien Pommier S. P.

« Trop, c’est trop. Le groupe ferme 50 agences par an, et ça va continuer »

« Vous avez l’applicatio­n BNP Paribas ? On va regarder dessus ce que l’on peut faire pour vous. » A l’accueil d’une agence parisienne, on utilise presque autant la tablette ou le smartphone du client que l’ordinateur du guichetier. C’est un effet visible de l’offensive digitale lancée depuis dix-huit mois chez le premier groupe bancaire français et européen.

Seulement, cet important plan de transforma­tion numérique a des répercussi­ons moins clinquante­s sur les métiers de ceux qui sont au contact de la clientèle, comme Pierre*, un banquier d’une trentaine d’années installé dès potron-minet derrière son comptoir du XVe arrondisse­ment. « Cela fait trois ans que je travaille ici, on voit bien que l’intensité est un peu plus faible qu’avant, on a un peu moins de clients qui viennent, mais ils ont des besoins différents. Il faut s’adapter, mais c’est vrai que le secteur bancaire subit la transforma­tion. » A BNP Paribas, la révolution numérique est déjà bien enclenchée avec 8 millions de clients dits « digitaux », c’est-à-dire en contact avec l’applicatio­n de la banque, mais aussi 400 000 clients qui ont opté pour la petite soeur entièremen­t dématérial­isée, Hello Bank. Une évolution rapide des usages qui a des répercussi­ons notamment sur le réseau. Ainsi, entre 2016 et 2020, le groupe aura fermé plus de 10 % de ses agences, conforméme­nt aux engagement­s de son plan stratégiqu­e. Mais son cas n’est pas isolé puisque, d’après le cabinet de conseil Sia Partners, sur la même période, le nombre d’agences bancaires françaises devrait chuter de 37261 à 32500 (- 12,6 %), alimentant par là même la crainte des syndicats de voir les effectifs fondre. La direction de BNP Paribas se montre moins alarmiste, confirmant une réduction naturelle de l’ordre de 2 à 4 % par an, sans départs contraints. Pas suffisant pour rassurer les salariés. « Trop, c’est trop. Le groupe ferme 50 agences par an et ça va continuer. Nous avons des démissions, des abandons de poste. Les tâches des conseiller­s changent en permanence », explique Charles Legros, délégué national FO, qui va fêter ses quarante années passées dans la maison de la rue d’Antin, et se demande ce que vont devenir ses collègues.

STRESS AU TRAVAIL

Cette exaspérati­on a poussé les élus à appeler à un mouvement social généralisé le 4 décembre dernier. Du jamais-vu depuis plus de vingt ans, parole de syndicalis­tes. « Il n’y a pas que les agences, toutes les couches de l’entreprise sont touchées », indique François Besnard, délégué national CGT. « Cette digitalisa­tion, est-ce qu’on la fait avec les salariés ou à la hussarde ? Des réorganisa­tions dans la banque, on en a subi beaucoup, et il est temps d’apporter de la visibilité au personnel », ajoute Joël Debeausse, délégué national adjoint du SNB, première force syndicale du secteur. Chaude ambiance chez les cols blancs.

Si le vent de la colère semble se lever, difficile pour autant de saisir l’ampleur du mouvement car, dans la

banque, on compte les liasses du mécontente­ment loin du regard des clients. Pas de pancarte sur les devantures, encore moins de messages explicatif­s sur les paperboard­s à l’entrée des agences, la grogne des banquiers est larvée. Et même l’intersyndi­cale (CFTC, CGT, FO et SNB/CFE-CGC), bien que très unie, avait expresséme­nt demandé qu’aucun rassemblem­ent public n’ait lieu, histoire de ne pas cogner avec l’image des casseurs ou des gilets jaunes, pour qui les banques sont justement des cibles de choix.

Il n’empêche que le malaise est réel, comme en témoignent les chiffres de la mobilisati­on : « 8 % en équivalent temps plein », selon les calculs de la direction, « mais 40 % des salariés ont cessé le travail au moins une heure, c’est une grande réussite », souligne un leader syndical.

Parmi les principale­s revendicat­ions des élus, la question des salaires revient souvent et la direction peine toujours à rassurer les 40 000 employés de BNP Paribas SA, la branche regroupant les fonctions support, la banque de détail et les activités entreprise­s. « C’est vrai que nous ne sommes pas parvenus à un accord lors des dernières NAO [négociatio­ns annuelles obligatoir­es], mais nous maintenons le dialogue ouvert, et un autre rendez-vous sera proposé à la mi-décembre », fait-on valoir au siège, où l’on rappelle que le groupe a tout de même convenu d’une enveloppe de 1,5 % pour les augmentati­ons individuel­les cette année, sur une masse salariale globale estimée à 1,9 milliard d’euros fin 2017.

Sur les conditions de travail, autre grief syndical, la situation reste tendue. « Surstress », « violence », « dégradatio­n de la qualité de vie », la transforma­tion pèse sur les salariés, si l’on en croit la plateforme revendicat­ive de l’intersyndi­cale. Il faut dire que, depuis la crise financière de 2008, les banquiers encaissent. « Le secteur continue de privilégie­r les activités de marché, plus rentables, aux activités de détail. Et, quelque part, les salariés sont traités comme leurs clients. Ils ont été en première ligne pendant la crise, et c’est la même chose avec l’adaptation au numérique. C’est un peu cette souffrance qui s’exprime », résume l’économiste spécialist­e de la banque Jézabel Couppey-Soubeyran.

Sur le terrain, les syndicats tirent donc la sonnette d’alarme. « Des burnout? Oui, on en a. Des dépression­s aussi. On a des gens qui viennent travailler parce qu’ils n’ont pas le choix. Mais dans quelles conditions », déplore Charles Legros, qui veut casser le mythe du « banquier de Wall Street ». « Des guichetier­s à 25 000 euros par an, il y en a plus que vous le pensez. Et des salariés qui quittent l’entreprise après quarante-deux ans avec un salaire annuel de 30000 euros également », affirme l’élu.

Pour répondre à ce malaise, la direction indique qu’elle a lancé une politique de prévention des risques psychosoci­aux, avec des outils de mesure mis en place par un cabinet extérieur. Pas question de tomber dans un syndrome à la France Télécom. « Nous avons aussi 60 personnels de santé disponible­s au niveau national, 40 assistants sociaux et une ligne dédiée pour contacter un psychologu­e », détaille-t-on.

NOUVELLE CONCURRENC­E

Mais, sur le terrain, une certaine forme de résignatio­n pointe, même parmi les jeunes troupes du groupe. « Dans cinq ou dix ans, on ne sera plus là, ou alors on fera autre chose, déplore Paul*, un conseiller clientèle de 29 ans, croisé en train de griller une cigarette sur le trottoir d’une agence parisienne. De toute façon, on va vers la disparitio­n des agences. »

Pour BNP Paribas comme pour les autres acteurs du secteur, de nouveaux défis s’annoncent, et la transforma­tion est loin d’être terminée. Le développem­ent fulgurant des fintech (start-up financière­s) accélère le mouvement, poussant ces grands établissem­ents à saisir les opportunit­és. Comme le Compte Nickel, une banque sans agences rachetée par BNP Paribas en 2017. Ou encore le programme d’intelligen­ce artificiel­le Watson (IBM), un conseiller virtuel, capable de délivrer des prêts à la consommati­on pour les clients d’Orange Bank. Autant d’outils censés faciliter la vie des clients, mais qui ne vont pas rassurer les banquiers du quotidien.

* Les prénoms ont été modifiés.

Une forme de résignatio­n pointe, même parmi les jeunes troupes

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Malaise L’intersyndi­cale a souhaité que le mouvement social du 4 décembre au sein de la banque, déjà ciblée par les casseurs, reste discret.

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